Discours de Madame Agnès BUZYN au Congrès de l’Encéphale le 24 janvier 2019

Discours d’Agnès Buzyn
Jeudi 24 janvier 2019
Congrès de l’Encéphale

Mesdames, Messieurs les professionnels de santé,
Mesdames et Messieurs,

Je tiens avant toute chose à vous adresser mes vœux les plus chaleureux pour cette année 2019.

Cette année s’annonce intense à bien des égards et je pense évidemment à ce grand moment démocratique que doit être le débat national et les suites qui en seront données.

Vous avez placé ce 17ème congrès de l’Encéphale sous le prisme de la confrontation de votre discipline, la psychiatrie, à l’épreuve du réel.

Nous faisons depuis quelques semaines l’épreuve du réel, mesurant dans des proportions que nous n’avions peut-être pas suffisamment anticipées, le malaise de la société tout entière. Ce malaise est grand et il faut l’entendre.

Les psychiatres n’ont pas découvert ce malaise en 2018. Pour tout vous dire, moi non plus, mais peut-être que les remèdes que nous avions commencé à administrer étaient sinon trop lents, à tout le moins trop tardifs.

C’est une approche soucieuse de l’expérience vécue des professionnels de santé et des patients que j’ai souhaité mettre en œuvre depuis maintenant 18 mois.

Dès juin 2018, le Ministère des solidarités et de la santé s’est ainsi engagé dans une feuille de route pour la santé mentale et la psychiatrie, en cohérence avec les objectifs de la stratégie nationale de santé, pour répondre aux défis de l’amélioration de l’accès aux soins et de l’accompagnement des personnes vivant avec un trouble psychique.

J’ai dit, dès ma prise de fonction, que la psychiatrie était le parent pauvre de notre système de santé. La lucidité n’étant pas une fin en soi, nous avons agi, avec méthode et détermination.

Pour crédibiliser ma feuille de route, je souhaite aujourd’hui prendre formellement quatre engagements, en réponse aux craintes qui ont pu être formulées :

- D’abord, les moyens dédiés à la psychiatrie seront pérennisés ;

- Ensuite, l’offre de pédopsychiatrie sera confortée dans tous les départements manifestement sous-dotés et le renforcement de l’encadrement hospitalo-universitaire sera poursuivi ;

- Troisième engagement, une politique ambitieuse de prévention, de lutte contre la stigmatisation et de développement de parcours de soins coordonnés embarquant les professionnels de la ville et de l’hôpital sera déployée et soutenue ;

- Et enfin le pilotage de cette politique au sein de mon ministère sera incarné.
Je vais revenir dans le détail sur chacun de ces engagements.
Comme je m’y étais engagée en juin dernier, j’ai réuni une nouvelle fois ce matin le comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie pour dresser un premier bilan d’étape de la feuille de route santé mentale et psychiatrie, et pour dessiner ses perspectives dans les mois à venir.

Force est de constater que depuis ma venue l’an dernier ici-même, nous avons avancé.

Aujourd’hui, la quasi-totalité des trente-sept actions de la feuille de route, est engagée ou programmée.
D’abord, celles relatives à l’axe 1, sur la promotion du bien-être mental, la prévention et le repérage de la souffrance psychique, des troubles psychiques et du suicide ; ces actions ont avancé de façon notable et j’en citerai trois sur les sept qui sont programmées.

L’expérimentation « Écout’Émoi » est déjà lancée dans 3 régions : en Ile-de-France, dans le Grand Est et dans les Pays de la Loire. Elle organise le repérage et la prise en charge de la souffrance psychique chez les jeunes de 11 à 21 ans et elle autorise un forfait de 12 séances financées chez un psychologue libéral.

Ensuite, le projet « premiers secours en santé mentale pour les étudiants » se poursuit, en lien avec le ministère de l’enseignement supérieur, 4 ARS et 4 universités.

Il s’adresse aux étudiants dans une logique d’aide par les pairs, via une formation sur le modèle des « gestes qui sauvent ». La première formation test aura lieu à Clermont-Ferrand au premier trimestre 2019.

Au nombre des actions de prévention du suicide, le déploiement par les ARS du dispositif VigilanS de recontact des suicidants, se poursuit.

J’ai annoncé sa généralisation au congrès de l’Encéphale, il y a tout juste un an. Il est aujourd’hui déployé dans 5 régions. Il le sera dans 12 régions fin 2019, et généralisé en 2020.

Enfin, pour donner aux questions de santé mentale l’ampleur qu’elles méritent, je souhaite que la France organise en 2020 le « Sommet mondial sur la santé mentale ».

Après Londres en 2018 et Amsterdam en 2019, et dans le cadre de l’Alliance des défenseurs de la santé mentale et du bien-être, je plaiderai auprès de l’OMS pour que Paris accueille ce sommet ministériel.

S’agissant de l’axe 2 intitulé « garantir des parcours de soins coordonnés et soutenus par une offre en psychiatrie accessible, diversifiée et de qualité », axe composé de 26 actions, il fait lui aussi l’objet d’un suivi attentif.

Je sais les attentes, je sais aussi les impatiences légitimes que suscitent la place, les missions et les moyens de la psychiatrie.

Cette attente et ces impatiences, je les ai entendues et c’est pourquoi des actions de fond, tant sur l’organisation que sur le financement, ont été mises en œuvre en 2018 et vont se poursuivre en 2019 de manière substantielle.

Avec son organisation en secteurs, la psychiatrie française a été précurseur de la territorialisation des soins et de la responsabilité populationnelle.

Elle doit aujourd’hui mettre en place une politique ambitieuse de prévention, lutter contre la stigmatisation et garantir des parcours de soins coordonnés et soutenus par une offre accessible, diversifiée et de qualité.

Je souhaite donc lancer, dès cette année, une mission sur les Centres Médico-Psychologiques pour valoriser et conforter leur place. Les formes de cette mission seront arrêtées très prochainement. Je souhaite également soutenir l’ensemble des démarches qui seront de nature à consolider le rôle du médecin généraliste, des professionnels de santé de proximité et leur collaboration avec l’hôpital.

Ces travaux devront aussi permettre, avec les contributions attendues en 2019 sur les parcours des patients, enfants et adultes, de renforcer et de rénover la place de l’ambulatoire dans ces parcours.

Ce n’est qu’à ces conditions que nous pourrons aborder la question des délais d’accès aux professionnels des secteurs de la psychiatrie, non pas parce que nous serions condamnés à accepter le poids excessif des indicateurs, mais parce que la qualité d’une organisation peut être éclairée par l’évolution dans le temps de cet indicateur.

Telle est je le sais notre ambition partagée. Votre coopération, celle de toutes les sensibilités que vous représentez et la mobilisation active et constructive du comité de pilotage de la psychiatrie et du comité stratégique, sont indispensables.

Je mentionnerai maintenant quelques actions, déjà particulièrement avancées.

D’abord, les 10 dispositifs de prise en charge du psycho traumatisme et le Centre national de ressources et de résilience demandés par le Président de la République, sont désormais désignés à la suite d’un appel à projet national et se mettent en place. Leur financement est aujourd’hui engagé à hauteur de 400.000 euros par centre retenu.

Ensuite, l’instruction sur l’offre de soins de réhabilitation psycho-sociale, dont je souhaite la généralisation à tous les territoires, est aujourd’hui en cours de diffusion. Je sais l’implication du comité de pilotage de la psychiatrie, qui se reflète tout particulièrement dans ces travaux préparatoires.

L’objectif est de garantir aux personnes vivant avec des troubles mentaux invalidants, ou qui connaissent des limitations des fonctions et des habiletés sociales en raison de leur pathologie, un accès à ces nouveaux outils thérapeutiques porteurs de sens et d’espoir pour les patients et leurs proches.

Pour garantir le parcours global attendu par les patients et les familles, les projets territoriaux de santé mentale sont en cours de déploiement, et un bilan sera dressé à l’horizon du mois de juillet 2020.

Je connais votre engagement dans cette démarche, tant au niveau national par les services du ministère que régional et territorial.

Je suis vous le savez très attachée à l’amélioration de la prise en charge des enfants et adolescents, de façon précoce et coordonnée.

A ce titre, je me félicite de l’adoption, dans la loi de financement de la sécurité sociale 2019, de l’article permettant le déploiement des plateformes d’orientation et de coordination et la création du forfait précoce pour les jeunes enfants présentant des troubles du neuro-développement, prévues par la stratégie autisme.

Les actions visant à renforcer la place de la pédopsychiatrie, améliorer le parcours de soins de l’enfant et de l’adolescent et développer la formation et la recherche seront poursuivies en 2019.

Les questions d’attractivité et de démographie des postes médicaux, notamment en pédopsychiatrie et leurs incidences pour tous les professionnels du secteur, sont essentielles.

10 postes de chefs de clinique en pédopsychiatrie ont d’ores et déjà été créés en 2018.

En 2019, 10 postes supplémentaires seront créés. Au total, 20 postes seront créés avec un pool de postes de chefs de clinique passant de 48 à 68 postes en deux années.

Par ailleurs, je nommerai cette année 6 hospitalo-universitaires supplémentaires en pédopsychiatrie. Ces postes créés représentent une augmentation de plus de 25% du nombre de HU titulaires depuis ma prise de fonction, passant de 36 à 47.

Je souhaite également que les capacités d’accueil de pédopsychiatrie soient augmentées : la priorité sera mise sur les départements qui ont une capacité faible ou inexistante.

Enfin, dès la rentrée de septembre 2019, les premiers infirmiers en pratiques avancées dans le champ de la psychiatrie commenceront leur formation.

Parallèlement, nous avançons sur l’amélioration de la qualité des pratiques.

Un groupe de travail du COPIL psychiatrie a permis de définir un plan de réduction du recours aux soins sans consentement et à la contention que je salue. Je connais déjà votre engagement en la matière, qui doit être salué.

Il se poursuit aujourd’hui par des missions d’expertise et de soutien, à la demande des acteurs territoriaux, notamment des présidents de CME.

Une première vague de séminaires régionaux a ainsi été réalisée en 2018 en régions Nouvelle Aquitaine, Normandie, Grand-Est, Hauts-de-France, Occitanie et PACA.

Une seconde vague d’accompagnement est prévue en 2019 en régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne et Pays-de-Loire.

La prise en charge des personnes détenues fait quant à elle l’objet d’une stratégie partagée avec le ministère de la justice.

Les préconisations que la mission conjointe de l’IGAS et de l’Inspection générale de la Justice vient de remettre, permettront de préciser les besoins de la deuxième tranche d’UHSA.

Au-delà des pratiques, je souhaite développer la recherche en psychiatrie et en pédopsychiatrie.

Malgré la grande qualité des travaux réalisés, la structuration des acteurs de la recherche doit être renforcée, en lien avec les dispositifs existants.

A cette fin, un groupe de travail placé sous l’égide du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et du Ministère des solidarités et de la santé a été initié.

Il doit contribuer à faire de la psychiatrie et de la santé mentale un champ privilégié de recherche.

S’agissant de l’axe 3 de la feuille de route intitulé « améliorer les conditions de vie et d’inclusion sociale et la citoyenneté des personnes en situation de handicap psychique » :

L’objectif des soins continus et des accompagnements pour les personnes souffrant de troubles psychiques graves et persistants, est de leur garantir une vie de qualité et une participation sociale et citoyenne la plus accomplie possible.

Des actions y contribuent et concernent notamment la pair-aidance ; l’emploi ; le logement ; le recours effectif aux soins et aux aides pour tous.

La généralisation de l’emploi accompagné à l’ensemble des territoires continuera d’être soutenue.

Elle constitue aussi une des mesures de la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement.

Nous doublerons les crédits dédiés, portant le financement de l’Etat de 5 M€ en 2017 et en 2018, à 7 M€ en 2019.

L’offre de logement pour les personnes ayant des troubles psychiques est également en cours de développement, conformément aux engagements que nous avions pris.

Ainsi, depuis la première réunion du Comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie en juin dernier, un cadre juridique clair permettant le développement de l’habitat inclusif pour les personnes handicapées et les personnes âgées a été inscrit dans la loi ELAN du 23 novembre 2018.

Il s’agit là d’une troisième voie entre l’hébergement en établissement et le logement autonome.

Ce mode d’habitation regroupé est assorti d’un projet de vie sociale et partagée. Il sera financé par un forfait « habitat inclusif » créé par la loi ELAN. Ce forfait, porté à 15 M€ pour 2019, devra permettre de financer environ 250 habitats inclusifs.

Pour les plus précaires, la Stratégie quinquennale pour le logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme, complète cette offre de logement.

Notre objectif est de créer 10.000 places de pensions de familles, dont 1/3 de résidences accueil dédiées à des personnes en situation de précarité ayant des troubles psychiques, au lieu des 7500 places initialement prévues par le plan de relance 2017.

S’y ajoute l’extension du dispositif « Un chez soi d’abord » de 4 à 22 métropoles, prévu d’ici 2022.

Il s’agit là d’un ensemble de mesures, qui toutes participent à un objectif commun : l’accès à un logement personnel et son maintien dans la durée, avec le soutien d’accompagnements adaptés.

Je vous avais fait part de mon engagement à préserver le budget de la psychiatrie, à le prioriser dans les plans d’investissement régionaux, à adapter ses ressources et à faire évoluer son modèle de financement.

Cet engagement s’est traduit dès cette année de manière très concrète avec le dégel intégral des crédits mis en réserve au début de l’exercice 2018, soit 64M€. Ce dégel intégral est une première, et doit permettre de redonner du souffle aux établissements.

Par ailleurs, j’ai décidé d’aller encore plus loin en allouant une enveloppe supplémentaire de 50 millions d’euros à la fin de l’année 2018 pour consolider les moyens des établissements et services de psychiatrie.

Cette enveloppe supplémentaire n’a rien d’un coup d’éclat, puisque ce financement est reconductible.

Au-delà de ces 50 millions, je souhaite impulser et soutenir plus particulièrement des initiatives locales innovantes, et créer un fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie.

Doté de 10 millions d’euros, ce fonds sera mis en place dès cette année selon des modalités en cours de définition.

Pour se rénover, les établissements psychiatriques pourront émarger aux financements nationaux en faveur de l’investissement prévus dans « Ma santé 2022 » et engagés dans la LFSS 2019.

La psychiatrie sera également prioritaire dans les programmes régionaux d’investissements des ARS, dont je salue la mobilisation et la très grande énergie déployée : l’objectif très clair est de combler le retard d’investissements et donner les moyens de rénover les établissements.

Enfin, je rappelle que les travaux menés l’an dernier ont contribué à définir des critères de modulation des dotations budgétaires dans l’objectif d’une réduction des inégalités territoriales et d’une meilleure allocation des ressources.

Trois régions historiquement sous-dotées ont ainsi pu bénéficier de dotations renforcées en 2018 : le Centre-Val de Loire, la Réunion et les Pays de la Loire. Ces travaux se poursuivront en 2019, en lien avec l’engagement des réflexions et des travaux de la mission de Jean-Marc AUBERT, sur la réforme des modes de financement.

Elle sera déployée en liaison étroite avec les professionnels et les règles de financement seront désormais mises au service du développement de la psychiatrie.

Des propositions concrètes et attendues seront dévoilées le 29 janvier prochain.

Au total, si l’on tient compte de ces investissements additionnels, ajoutés aux moyens de la feuille de route, ce sont 100 millions supplémentaires par an pour la psychiatrie et la santé mentale, dès cette année.

Le chemin parcouru depuis notre précédente rencontre est donc conséquent. Celui qu’il nous reste à parcourir ne l’est pas moins.

Les prochaines étapes sont programmées ; elles seront rythmées par des déplacements et des rendez-vous au cours desquelles nous aurons tous cet esprit constructif qui nous a déjà permis de mettre sur les rails les projets qui redonneront du souffle à la psychiatrie.

Enfin, la psychiatrie étant un sujet prioritaire de mon action et de mon ministère, je souhaite que l’action puisse être portée au quotidien, et incarnée sur les territoires.

C’est pourquoi j’ai décidé de nommer prochainement un délégué ministériel à la psychiatrie et à la santé mentale, chargé de piloter au plus près des acteurs et au quotidien le déploiement de la feuille de route de la psychiatrie et de la santé mentale, et de la porter sur les territoires.

Mesdames, messieurs,
Je vous renouvelle mes vœux les plus chaleureux. Je forme aussi aujourd’hui le vœu collectif que nous réalisions l’ambition portée par notre feuille de route, c’est-à-dire l’ambition d’un changement de regard sur la santé mentale et la psychiatrie.

Mais plus qu’affaire de vœux, je sais que cela est affaire de volonté. Je connais votre engagement ; soyez assurés du mien.

Je vous remercie.