Discours d’Adrien Taquet : mettre fin aux sorties sèches de l’ASE – Seine Saint Denis, 14 février 2019

Seul le prononcé fait foi

Madame la Secrétaire d’Etat, Chère Christelle Dubos,
Monsieur le Délégué interministériel, Cher Olivier Noblecourt,
Mesdames et messieurs les élus locaux,
Mesdames et messieurs,

C’est un plaisir, trois semaines après ma nomination, d’être ici parmi vous, pour parler d’un sujet si sensible, d’un sujet qui est aussi une mission magnifique, pour laquelle je suis pleinement mobilisé avec Christelle Dubos et Olivier Noblecourt.
Si nous sommes ici, c’est que nous partageons le même objectif : garantir une égalité des chances à ces enfants que le destin a décidé de bousculer durant les premières années de leur vie.

I) L’heure n’est pas à l’autosatisfaction mais à la lucidité et cette lucidité peut être douloureuse pour les responsables politiques mais elle est, je crois, salutaire, puisqu’elle permet d’envisager des remèdes à un système défaillant et quand cette défaillance est systémique, nul besoin de se demander les responsables : la responsabilité est collective.

Oui, la sortie de la protection de l’enfance est emblématique de cet échec collectif, fruit d’une situation absurde, où l’on demande plus d’autonomie à des jeunes fragilisés du fait de leurs parcours, avec de faibles ressources – qu’elles soient financières, de réseau, d’acquis scolaire ou de solidité psychologique.
Cette injonction à l’autonomie concerne 21 000 jeunes majeurs par an, qui souffrent trop souvent de la baisse de mobilisation des contrats jeunes majeurs, de la précarité de l’aide apportée, ainsi que de la faible anticipation de la sortie du système de protection de l’enfance.

Sortie de protection de l’enfance rime trop souvent avec précarité, alors qu’environ 1/4 des SDF nés en France sont des anciens de l’ASE.
Ce chiffre est à lui seul la preuve de notre échec et la mesure du chemin que nous devons parcourir pour enfin être à la hauteur.
Ce gâchis humain est en effet inacceptable : nous ne pouvons plus tolérer que les jeunes qui sortent de l’aide sociale à l’enfance soient brutalement confrontés à une rupture de leur prise en charge et que la collectivité publique se désintéresse de leur sort, ou alors, cela signifie que nous les condamnons.

II) En mettant fin aux sorties sèches de l’ASE par la contractualisation, la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté remet au coeur des politiques publiques cette population souvent oubliée.

Elle s’appuie pour cela sur les départements tout d’abord, mais également sur l’Etat, par son engagement financier et le renforcement de l’accès des jeunes majeurs aux dispositifs de droit commun, par une mobilisation qui doit aller encore en s’intensifiant.

III) Ce nouvel engagement de l’Etat et des départements s’appuiera sur le référentiel élaboré par Madame Fouzy Mathey, et je la salue chaleureusement, de même que Lyes, Meriem, Hakar, Agnès, Aboubacar, Mamédi, Elina, Quentin, Beno, Donovan, Joël, Rohallah, Thierry et Jérémy. Ce référentiel sera pleinement intégré à l’ensemble des conventions de lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi.

L’objectif du référentiel est de préciser les engagements concrets des départements, de l’État et des opérateurs publics vis-à-vis des jeunes majeurs. Et j’insiste sur le caractère concret de ces engagements, qui ne sont pas des effets d’annonce, mais des objectifs et des mesures permettant de les atteindre. C’est aussi la raison pour laquelle ces engagements feront l’objet d’une évaluation, et je suis ouvert à ce que l’on réfléchisse ainsi aux indicateurs qui pourraient nous aider à la mener.

Elaboré avec le concours de jeunes protégés, des conseils départementaux et des administrations, le référentiel s’est construit autour des inquiétudes de ces jeunes majeurs, de leurs expériences vécues. Ce référentiel s’articule autour de cinq priorités : le soutien par les pairs ou des personnes ressources, l’accès au logement, l’accès à l’insertion et aux aides disponibles, par exemple les aides des CAF qui organisent pour cela des rendez-vous des droits qui permettent d’envisager l’ensemble de la situation d’un jeune.
Des avancées ont déjà été réalisées, par exemple, le renouvellement automatique de la Couverture Maladie Universelle complémentaire pour 12 mois, deux mois avant les 18 ans du jeune, pour éviter une rupture de droits.

En outre, il faut faire en sorte que le jeune qui quitte le giron de l’aide sociale à l’enfance puisse vraiment voler de ses propres ailes, avoir accès à des ressources pour vivre et se former pour accéder à l’emploi.
A cet égard, je vais travailler étroitement avec Muriel Pénicaud pour mobiliser pleinement le Plan d’investissement dans les compétences, doté de 15 Milliards d’euros sur 5 ans, et surtout les missions locales.
Une réflexion sur les modalités d’accès des jeunes sortants de l’aide sociale à l’enfance à la garantie jeune est sans aucun doute à conduire, car ce dispositif permet de coupler formation et ressources financières.

IV) Mesdames et messieurs,

La sortie du dispositif est un moment primordial : pendant trop longtemps, nous n’avons pas considéré la sortie du jeune comme partie intégrante du parcours. C’est cela qui doit désormais changer et la nouvelle ambition portée par le référentiel est ainsi la première pierre d’une réflexion plus globale sur le fonctionnement de l’Aide Sociale à l’Enfance, que je souhaite développer dans les mois qui viennent.

Permettre aux jeunes majeurs de devenir des hommes et des femmes émancipés impose d’aller encore plus loin :

1/ En travaillant en amont de la sortie tout d’abord, pour renforcer les droits fondamentaux des enfants, qu’il s’agisse de leur santé ou leur éducation. Les chiffres sont éloquents : à l’âge de 15 ans, ils ont trois fois plus de risques que les autres d’être déscolarisés. Ils sont 5,3 % à suivre un 2nd cycle général ou
technologique, contre 49 % en population générale.

2/ En portant ensuite une réflexion sur l’ensemble du parcours des enfants et des jeunes suivis au titre de l’ASE, la qualité des prises en charge et la pertinence et du projet pour l’enfant qui est au coeur de la loi de 2016 mais encore trop peu mis en place.
Cette réflexion ne pourra être réalisée qu’en s’appuyant sur une large concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, parmi lesquels les élus locaux mais aussi les jeunes, dans une logique de coopération et de responsabilité partagée : la méthode adoptée pour l’élaboration du référentiel inspirera bien sûr les futurs travaux de concertation en vue de la présentation de la stratégie avant l’été 2019. Il s’agit de créer les conditions d’une réussite collective.

Je vous remercie et vous dis à très bientôt.

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