Discours de Christelle Dubos : Mettre fin aux sorties sèches de l’ASE – Saint-Denis, 14 février 2019

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Secrétaire d’Etat, Cher Adrien Taquet,
Monsieur le Délégué interministériel, Cher Olivier Noblecourt,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs,

Je suis heureuse d’être parmi vous et de sentir l’énergie exceptionnelle qui vous anime, à la hauteur peut-être de l’indignation que suscite chez nous des situations inacceptables vécues par les jeunes de l’ASE, et vous avez rappelé les chiffres, ils me saisissent toujours d’effroi.
Nous sommes, bien au-delà de ces chiffres, confrontés à des vies qui très tôt, bien trop tôt, se sont retrouvées face au monde, face à ses duretés, face à ses injustices. Des vies qui, à l’entrée dans l’âge adulte, se retrouvent trop souvent face à un mur.
Je crois que nous sommes tous déterminés à faire tomber ce mur et à redonner aux jeunes qui sortent de l’ASE les moyens de se dessiner un horizon et de se construire un avenir.
Il nous fallait agir et nous agissons, en conjuguant nos forces et nos énergies.

Adrien Taquet vous a parlé de la politique de protection de l’enfance. Je suis ici pour vous dire, en quelques mots, comment la présentation du référentiel s’inscrit dans le cadre de la stratégie du Gouvernement en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté.

D’abord, l’élaboration du référentiel « sortie sèche ASE » est une belle illustration du « choc de participation » prévu par la stratégie pauvreté. Il s’agit d’augmenter très fortement la participation des personnes concernées à l’élaboration des politiques publiques qui leur sont destinées.
Ce choc de participation n’est pas une formule marketing, il n’est pas un cri d’orfraie poussé dans la panique, depuis un ministère : il est une révolution conceptuelle dans la façon d’appréhender la pauvreté en général, et donc l’aide sociale à l’enfance et les moyens de permettre à tous les jeunes de mener une vie d’adulte sereine, confiante et heureuse.

Nous avons je crois, et sans nous jeter des fleurs parce que l’occasion ne s’y prête pas, nous avons eu le souci d’agir sur des situations vécues, nous avons eu cette exigence de ne pas spéculer de manière abstraite et déconnectée, mais bien de tenir compte du réel, dans ce qu’il a de brutal et de complexe.

Le référentiel a été confié à une jeune, Fouzy Mathey, et je la salue aussi très chaleureusement, Fouzy Mathey, ancienne de l’ASE, et je rappelle aussi que le groupe comporte une moitié de jeunes, soit actuellement accueillis à l’aide sociale à l’enfance, soit anciens de l’ASE.
Cette volonté de participation de la part des personnes concernées, nous voulons qu’elle s’applique dans d’autres cadres de mise en oeuvre
ou de suivi de la stratégie pauvreté, comme c’est le cas avec les référents de parcours, sur lesquels a travaillé le comité national des personnes accueillies.
Ce référentiel va servir de base à la contractualisation avec les conseils départementaux, qui est au coeur de la stratégie pauvreté. C’est le vecteur privilégié d’une gouvernance nouvelle, non pas stratosphérique et illisible, mais une gouvernance claire, une gouvernance qui part du terrain.
Je salue à ce titre l’implication des conseils départementaux et l’avancée de la contractualisation.
11 départements ont actuellement signé avec l’Etat. La stratégie n’est pas un plan unilatéral : elle émane directement de la concertation et elle est portée par l’ensemble des acteurs.
La contractualisation, ce sont des avancées concrètes dans les départements.

Je donnerai simplement deux exemples.
Dans le département du Bas-Rhin, alors que seuls 65% jeunes étaient accompagnés à la sortie de l’ASE, la contractualisation va permettre l’accompagnement des 550 jeunes devenant majeurs en 2019.
Dans un autre domaine, dans le département du Nord, 3 équipes de maraudes mixtes seront créées pour « aller-vers » les familles à la rue,
afin de prévenir, repérer et mettre fin aux situations attentatoires aux droits des enfants.
Après les territoires démonstrateurs, nous lancerons à la fin du mois de février 2019 cette contractualisation avec tous les départements.
L’ensemble des préfets de département et tous les départements recevront ainsi ce document de référence ainsi que tous les autres outils utiles pour négocier les conventions et nous poursuivrons les travaux nationaux dans le cadre de la stratégie protection de l’enfant qui sera présentée à l’été prochain
Au-delà des jeunes issus de l’ASE, c’est tous les jeunes en situation ou en risque de pauvreté qui sont concernés par la stratégie.

Nous voulons ainsi garantir l’accompagnement vers l’emploi des jeunes les plus fragiles, en finançant des points d’accueil et d’écoute jeunes et des associations de prévention spécialisée, en mobilisant les solutions d’accompagnement permises par le plan d’investissement dans les compétences et je pense notamment à la garantie jeunes et à l’école de la deuxième chance.

Mais je voudrais vous parler particulièrement d’une mesure qui me paraît particulièrement forte, particulièrement transformante.
C’est une mesure que nous portons avec la ministre du travail et le ministre de l’éducation nationale : il s’agit de l’instauration d’une obligation de formation jusqu’à 18 ans, qui est aussi et surtout un droit à la formation, pour tous, jusqu’à 18 ans.

Actuellement, plus de 2 millions de jeunes, dont 60 000 mineurs, de 18 à 29 ans ne sont ni en étude, ni en emploi, ni en formation. Et nous savons que la qualification pèse sur les destins individuels et constitue un facteur aggravant de pauvreté.

C’est très précisément pour cela que le gouvernement met en place une obligation de formation jusqu’à 18 ans, afin que 100% des jeunes soient qualifiés pour démarrer dans la vie active ou poursuivre des études.

Cette obligation est prévue à la rentrée 2020, pour les jeunes nés en 2004 : entre 16 et 18 ans, tout jeune devra se trouver soit dans un parcours scolaire ou en apprentissage, soit en emploi, en service, en parcours d’accompagnement ou d’insertion sociale et professionnelle.
Pour les pouvoirs publics, cela implique de proposer un accompagnement à tout jeune mineur en situation de décrochage durable, ce qui suppose d’aller vers les jeunes dits invisibles en améliorant leur repérage et d’expérimenter de nouvelles modalités d’insertion, de proposer des solutions souples, des solutions adaptables, pour éviter de nouvelles ruptures.
C’est un immense chantier, dont je suis persuadée qu’il peut faire une énorme différence pour les jeunes.

Mesdames et messieurs,

Je crois que nous avons tous, ici et maintenant, le sentiment de faire ce pourquoi nous nous sommes un jour engagés : être utiles aux autres.
Croyez bien que pour moi qui ai été pendant 20 ans travailleuse sociale, eh bien j’ai l’impression d’agir aujourd’hui de manière aussi directe, aussi concrète, sur les situations auxquelles je suis confrontée et que je ne regarderai jamais avec un fatalisme fatigué.

Les solutions nouvelles apportées aux jeunes qui sortent de l’ASE doivent marquer la fin d’un système qui ajoutait de l’indifférence à l’injustice.
Nous ne pouvons-nous résigner à donner pour seule boussole à ces jeunes l’injonction froide et réglementaire de s’en sortir seuls.
C’était pourtant ce qui était fait et cela revenait à faire un pari aussi incertain qu’irresponsable, le pari du « vaille que vaille, advienne que pourra ».
Notre présence à tous ici prouve que ce temps est révolu, et c’est tant mieux.

Je vous remercie.

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