Discours d’Agnès BUZYN aux Assises nationales des EHPAD, Mardi 12 mars 2017

Seul le prononcé fait foi

Mesdames les ministres, Chère Roselyne Bachelot, Chère Michèle Delaunay, Chère Laurence Rossignol, Chère Marie-Anne Montchamp ;

Mesdames les parlementaires ; (Monique IBORRA, Audrey DUFEU-SCHUBERT, Annie VIDAL, Agnès FIRMIN LE BODO)

Mesdames et messieurs les responsables de fédérations ;

Mesdames et messieurs les directeurs d’Ehpad ;

Cher Luc Broussy,

Il y a un an, j’étais devant vous, dans cette même salle de la Maison de la Chimie où je répondais, déjà, à l’invitation du Mensuel des Maisons de Retraite. Je voudrais donc en profiter pour mesurer avec vous le chemin parcouru depuis le printemps dernier.

Mais avant toute chose, je veux m’adresser solennellement à vous, à vous tous qui travaillez au quotidien dans un des 7000 Ehpad de notre pays.

Je veux vous dire ma reconnaissance et mon admiration pour le travail que vous faites.

Je veux vous dire le rôle essentiel que vous jouez chaque jour, dans tous nos territoires, au service des plus âgés et des plus fragiles.

La période que nous traversons, où la société s’interroge sur son avenir et donc sur elle-même, cette période rappelle aussi la force de votre engagement et montre que l’attention portée à l’autre n’est pas une valeur abstraite, mais une exigence constante.

Cette exigence, nous la partageons tous, et je me réjouis de voir parmi nous Roselyne Bachelot, Michèle Delaunay, Laurence Rossignol et Marie-Anne Montchamp. C’est non seulement le signe d’une continuité d’action mais aussi de ce que les défis que nous devons relever ensemble transcendent très largement les clivages partisans.

Cette exigence est aussi à la hauteur de l’impact que représentent le grand-âge et l’autonomie dans la vie de chaque français. C’est un sujet qui n’épargne évidemment personne et auquel toutes les familles sont un jour confrontées.

L’affaiblissement et le déclin d’un proche, qui provoquent le désarroi d’un mari, d’une femme, d’enfants et de petits-enfants, c’est une situation universelle, à laquelle nul n’échappe.

Cet affaiblissement et ce déclin, c’est Françoise, rencontrée le 6 octobre dernier, à l’occasion de la journée des aidants, qui fréquente une plateforme d’accompagnement et de répit pour les proches aidants, et qui me parle de son mari, Michel, en me disant ces mots :

« Il faisait décoller des avions, maintenant il ne sait plus changer une ampoule. Une fois que l’on a compris, il faut changer son fusil d’épaule ».

Dès lors qu’une famille doit changer son fusil d’épaule, vous êtes là, pour apporter des solutions, pour accompagner et pour transformer ce qui est une détresse durement vécue, en « nouvelle étape », sereine et apaisée.

Je veux donc vous dire que la Ministre que je suis est fière, très fière, du dévouement qui est le vôtre. Je veux également vous dire que je suis affectée, moi aussi, comme vous, de voir l’image de vos établissements régulièrement dégradée, tantôt par des reportages, tantôt par des livres.

Autant je veux être, tout comme vous, vigilante contre toutes les formes de maltraitance, autant je ne veux plus laisser dire n’importe quoi sur la qualité du travail que vous réalisez pour mieux prendre en charge nos ainés.

Nous voyons se développer depuis quelques mois un Ehpad bashing, qui est aussi injuste que contre-productif.

Il est injuste parce jamais les critères de qualité n’ont été aussi exigeants dans notre pays qu’aujourd’hui.

Je le dis ici devant des ministres qui ont, elles aussi, et je leur rends une nouvelle fois hommage, agi avec détermination pour cette évolution vers toujours plus de qualité.

Depuis le début des années 2000, tous les acteurs se sont mobilisés.

L’Etat évidemment, en fixant des normes exigeantes, les départements en accompagnant localement les établissements et enfin les professionnels eux-mêmes, qui sont les principaux acteurs des progrès réalisés.

L’Ehpad bashing n’est pas seulement injuste et infondé, il est aussi contreproductif, car l’enjeu commun qui doit être le nôtre, c’est de soutenir et de rassurer les familles. Pas de les inquiéter et encore moins de les culpabiliser lorsque l’entrée en Ehpad d’un de leur parent devient inéluctable.

Je ne voulais pas manquer l’occasion de vous dire aujourd’hui ma confiance. Je ne voulais pas manquer de vous dire à quel point votre engagement de directeurs d’Ehpad vous honore et à quel point la Nation doit être à vos côtés pour vous soutenir et vous accompagner dans la mission qui est la vôtre. Parce que c’est une mission indispensable.

Elle l’est d’autant plus que nous devons être à la hauteur de l’enjeu démographique qui se pose à nous dans les 15 prochaines années.

Pour cela, le Président de la République et le Gouvernement ont engagé il y a un an un travail déterminant pour l’avenir de la prise en charge du vieillissement dans notre pays.

Il y a un an, lorsque j’intervenais devant vous, nous étions à 48 heures d’un mouvement de grève dans les Ehpad, celui du 15 mars, qui suivait celui du 30 janvier.

Les professionnels avaient évidemment des raisons légitimes de protester. Et j’ai souhaité que nous puissions répondre rapidement à ces inquiétudes qui, soyons justes, étaient latentes depuis bien des années.

J’ai ensuite, dès le 30 mai, annoncé la mise en œuvre d‘une feuille de route destinée à répondre très vite à l’urgence qui s’exprimait.

Les principales mesures de ce plan portaient bien entendu sur le financement des Ehpad.

D’abord, j’ai souhaité que nous organisions une forme de moratoire dans la mise en œuvre de la convergence tarifaire.

Je l’ai fait parce que les conséquences sur un certain nombre d’Ehpad, notamment publics, n’étaient pas acceptables et nous ne l’avons d’ailleurs pas accepté.

Ensuite, j’ai voulu accélérer la convergence tarifaire pour permettre aux établissements de recruter davantage de personnels soignants.

D’autres mesures de la feuille de route, vous vous en souvenez, visaient plus particulièrement l’amélioration de la qualité de vie au travail des personnels, le développement de la télémédecine dans les Ehpad et le renforcement de la prévention de la perte d’autonomie, notamment pour les résidents des Ehpad.

Ces mesures sont en cours de mise en œuvre et je suis très vigilante quant à leur déploiement.

Quelques jours après la présentation de ces mesures d’urgence, le Président de la République a annoncé qu’il souhaitait qu’une loi vienne en 2019 relever les défis de la longévité.

Le Président de la République a eu, vous vous en souvenez, des paroles fortes, des paroles ambitieuses, qui ont je crois convaincu les organisations professionnelles et syndicales qu’un nouveau pas décisif allait être franchi.

Le 1er octobre, j’ai à mon tour lancé une Concertation nationale pilotée par Dominique Libault. Cette concertation comportait deux types de dispositifs.

D’abord, une vaste consultation permettant de prendre le pouls de nos concitoyens, avec ce souci de démocratie délibérative qui est un peu la marque de fabrique du Ministère des Solidarités et de la Santé et qui passe notamment par des contributions en ligne pour tous ceux qui le souhaitent.

Ensuite, cette concertation s’est appuyée sur 10 groupes de travail, qui viennent tout juste de remettre leurs conclusions sur des sujets aussi différents que la place de la personne âgée à l’hôpital, le panier de biens et services, l’offre de demain, ou encore l’articulation Ehpad/domicile.

Il appartient désormais à Dominique Libault, sur la base de ces travaux, de me remettre ses conclusions, le 28 mars prochain.

Mais je veux, avant tout, saluer l’implication de tous les acteurs.

Nos concitoyens d’abord, puisque la consultation sur Make.org a compté pas moins de 415.000 participants.

Vos fédérations, ensuite, qui ont activement participé aux 10 groupes de travail qui viennent de produire des réflexions et tous ceux qui les ont lues soulignent leur pertinence et leur inventivité.

Je n’évoquerai que quelques exemples.

Vous êtes nombreux à juger la tarification ternaire trop complexe : des propositions ont été formulées dans ces ateliers pour simplifier le système.

Vous êtes nombreux à considérer que les frontières entre domicile et hébergement en Ehpad deviennent trop rigides. J’ai lu des propositions de nature à décloisonner radicalement notre organisation en tuyaux d’orgues.

Vous êtes nombreux à estimer que les métiers ne sont pas suffisamment attractifs et les formations parfois inadaptées. Là aussi des propositions ont été formulées dans les ateliers.

Et je sais que face au sujet toujours sensible des ratios de personnel dans les Ehpad, des pistes ont été évoquées entre les fédérations et Dominique Libault.

Tout concourt à penser aujourd’hui que nous allons dans la bonne direction, et au bon rythme.

Le Président de la République ressent chaque semaine, dans les débats auxquels il participe lui-même, à quel point la question du vieillissement de la population est portée par nos concitoyens et par nos élus locaux. A quel point, en réalité, elle fait l’objet d’une angoisse manifeste et profonde.

Avant même d’avoir les conclusions formalisées de ce Grand débat, je voudrais partager avec vous ce que j’ai entendu et ce que j’ai pu lire dans les premières analyses qui m’ont été transmises, autant que dans ce que j’ai vu et entendu en participant moi-même à des débats.

J’ai encore bien présent à l’esprit mon premier grand débat à Trappes, et l’intervention poignante d’un homme qui, en voyant à la télévision que j’étais à quelques kilomètres de chez lui, n’a pas hésité une seconde et a pris sa voiture pour venir me questionner, en bousculant un peu le protocole.

Il voulait me parler de sa mère âgée, pour laquelle il s’inquiétait beaucoup.

Et cet homme n’est pas un cas isolé, si l’on tient compte des tendances et des récurrences observées dans ce grand débat, et qui sont, je crois, autant de symptômes de l’angoisse que j’évoquais. J’en mentionnerai six.

- Nos concitoyens relèvent des freins importants au maintien à domicile pour les personnes encore autonomes ou relativement autonomes, alors même, vous le savez, que le désir d’avoir la liberté de vieillir chez soi est désormais très partagé.

- Ils soulignent les obstacles que constituent les restes à charge en établissement.

- Ils expriment des doutes sur la qualité de l’accompagnement de la fin de vie, à l’hôpital comme en établissement.

- Les personnes âgées ont peur de « peser sur leurs proches », à la fois dans le quotidien et financièrement, sans que les contraintes des aidants soient suffisamment reconnues et prises en compte par les pouvoirs publics.

Parmi les inquiétudes qui minent les familles, il y en a une assez fréquente, que je constate en rencontrant des personnes retraitées, qui se retrouvent à devoir payer l’Ehpad d’un de leurs parents et qui s’inquiètent de savoir s’ils pourront assumer les dépenses de leur propre vieillesse ou si leurs enfants pourront le faire.

Ce genre d’inquiétude est aujourd’hui une étape inévitable dans la vie de toutes les familles.

- Nos concitoyens se montrent aussi très sensibles à la dégradation des conditions de travail des professionnels du grand âge, qui limite l’attractivité de filières qui sont, pour des raisons évidentes, des filières d’avenir.
- Enfin, ils regrettent les difficultés d’accès à l’information sur les droits et les offres de prise en charge, pour les personnes âgées et leurs proches aidants.

Sans surprise, ces points rejoignent les enseignements de la consultation citoyenne de la concertation grand âge et autonomie.

Ces enseignements, ajoutés aux résultats des groupes de travail, des focus groupes, des entretiens individuels et des forums régionaux, seront présentés dans le détail le 28 mars prochain, à l’occasion de la remise du rapport de Dominique Libault.

Je ne vais donc pas vous faire assister à une avant-première mais vous donner la « bande-annonce » des 7 grands constats de cette concertation.

D’abord, à l’évidence, malgré la hausse continue des moyens engagés en faveur du grand âge, les Français sont pessimistes quant aux conditions futures de prise en charge de la perte d’autonomie.

Leur crainte porte sur l’accès à une prise en charge médicale de qualité, sur les inégalités accrues avec des niveaux de prestations très dépendants des ressources des personnes, sur la perte de lien social et sur le risque d’isolement à domicile.

Les Français expriment un souhait de préserver une liberté de choix du lieu d’accueil, avec certes une préférence très marquée pour le maintien à domicile mais également une claire conscience des risques d’isolement et de la charge qu’il implique pour les proches aidants.

Ensuite, il ressort aussi de la concertation un besoin urgent et prioritaire de revalorisation des métiers de l’âge.

Troisièmement, la concertation montre que si le reste à charge est maîtrisé à domicile, il reste important en établissement et trop peu corrélé aux capacités contributives des personnes.

La concertation révèle aussi une demande générale de clarification de la gouvernance et de simplification de la prestation.

Pour préciser un peu les choses, la gouvernance complexe et la pluralité des intervenants et des financeurs entretiennent le sentiment d’une dispersion de l’effort collectif et d’un manque de lisibilité de l’action publique en faveur du grand âge.

Les Français demandent aussi une plus grande égalité de traitement face à la diversité des pratiques départementales.

Des demandes fortes de simplification sont donc exprimées, pour identifier une porte d’entrée unique dans le système de prise en charge et au-delà pour fluidifier la coordination des intervenants autour de la personne.

Les personnes et leurs proches se retrouvent en effet confrontés à une multiplicité d’adresses et d’interlocuteurs, et la prise en charge s’apparente trop souvent à un parcours du combattant.

Cinquième point, et à ce sujet je ne vous apprendrais rien, nous constatons une grande hétérogénéité de l’offre, à domicile comme en établissement, et une image écornée, qui ne reflète qu’en partie la réalité des pratiques. Je n’y reviens pas, j’en ai déjà parlé et l’Ehpad bashing nous fait à tous beaucoup de mal.

Dans les enseignements que nous pouvons d’ores et déjà tirer de cette concertation, il y a aussi la question de la prévention, et la prévention de la perte d’autonomie n’est pas suffisamment investie.

Enfin, la concertation a mis l’accent sur la nécessité de soutenir et de renforcer les solidarités de proximité autour de la personne âgée, à commencer par l’appui aux aidants.

Pour répondre à toutes ces préoccupations, je souhaite que nous prenions des mesures fortes, des mesures qui feront une différence dès 2019.

Je veux que nous puissions répondre très concrètement aux questions que se posent nos concitoyens et aux questions qu’ils nous posent.

Répondre à ces questions, que nous nous sommes tous sans doute posées, c’est commencer à répondre à l’angoisse.

A la question : « vers qui dois-je me tourner pour évaluer mes besoins ou ceux de mon proche, connaître mes droits et mes options ? », nous devons pouvoir répondre.

Aux questions : « Ai-je la liberté de choisir mon lieu de vie et le mode de prise en charge qui me correspond le mieux, quels que soient mes moyens ? Comme puis-je éviter de peser sur mes enfants ou mes petits-enfants ? En particulier, vais-je priver mes enfants et petits-enfants de leur héritage si je reste dépendant très longtemps ? », nous devons pouvoir répondre.

Aux questions « y aura-t-il suffisamment de personnes bien formées pour prendre soin de moi ou de mon proche, à domicile ou en établissement ? Professionnel du grand âge ou jeune en recherche d’orientation professionnelle, les conditions sont-elles réunies pour que mon métier ou mon futur métier ait du sens ? », nous devons pouvoir répondre.

A la question « comment puis-je rester ou aider mon proche à rester autonome le plus longtemps possible ? », enfin, je veux que nous puissions répondre.

Quelques semaines après la remise du rapport Libault, le Gouvernement passera à l’action pour apporter des solutions immédiates et des solutions de long terme.

Parce que dans tout le pays, il y a une même attente d’un discours politique fort sur la citoyenneté pleine et entière de la personne âgée, sur sa dignité et son droit à de bonnes conditions de vie.

Parce que dans tout le pays, les Français attendent des mesures immédiates de rupture permettant de marquer un changement de modèle.

Parce que dans tout le pays, les Français attendent des mesures de long terme permettant de crédibiliser une réorientation de la politique du grand âge.

Voilà où nous en sommes et vous me pardonnerez de ne pouvoir vous en dire plus à ce stade, car les perspectives sont rapprochées mais encore devant nous.

Mais je tenais à répondre à l’invitation de Luc Broussy et à venir devant vous aujourd’hui.

Pour vous délivrer un message de soutien indéfectible.

Pour vous dire aussi que depuis un an, ensemble, nous avons avancé.

Et pour vous dire à quel point les prochains mois vont être essentiels pour construire cette loi dont la France a besoin.

Pour terminer, j’aimerais vous faire part d’un sentiment plus personnel, qui tient à ce que, dans mes activités passées, j’ai été confrontée à la mort de patients souvent jeunes, voire très jeunes.

Je le dis aussi clairement que je le pense : vieillir est une chance.

C’est une chance qui, par définition, n’est pas donnée à tout le monde. Et je voudrais que les Français aient conscience de cette chance qu’est le vieillissement.

Aujourd’hui, comme ministre, j’ai la conviction profonde qu’une société se grandit quand elle est capable de faire de la vieillesse un moment privilégié.

Je vous remercie.

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