Discours de Madame Agnès BUZYN lors de la remise du rapport LIBAULT le 28 mars 2019

Remise du rapport Libault

28 mars 2019

Discours d’Agnès Buzyn

Ministre des Solidarités et de la Santé

Lorsque l’on est ministre des solidarités et de la santé, chaque jour et chaque moment sont importants, parce que derrière ces attributions, solidarités et santé, c’est de la vie quotidienne des Français que l’on parle, dans ses joies et ses peines.

Reste que certains événements prennent une dimension toute particulière, et donnent aux femmes et aux hommes qui les vivent le sentiment, sinon d’écrire l’histoire, au moins de construire l’avenir. Je ne pense pas être la seule à éprouver ce sentiment aujourd’hui.

Parce que le sujet que nous évoquons aujourd’hui est hors-norme : il est à la fois universel et intime.

A l’échelle de tous, le vieillissement et la perspective de la fin de vie sont des évidences absolues. A l’échelle de chacun, et lorsqu’ils concernent nos proches, ils composent une vérité refusée, parfois douloureuse.

Est-ce en raison de ce paradoxe que nous n’avons pas encore su apporter à ce défi du vieillissement de la société, que nous voyons pourtant poindre depuis si longtemps désormais, une réponse à la hauteur de l’enjeu et de nos responsabilités ?

En 1945, nous avons créé la sécurité sociale pour permettre aux Français de faire face ensemble, collectivement, à des risques auxquels ils étaient tous soumis.

Il était alors apparu indispensable à une nation traumatisée de se refonder sur un idéal de solidarité entre les personnes, entre les générations, devenu progressivement universelle.

L’histoire même de notre Etat-providence est indissociable de ces longs moments où la société tâtonne, suivis de grandes crises qui appellent de grandes prises de conscience.

Je crois que nous traversons l’une de ces grandes crises.

Notre société peine à donner espoir à sa jeunesse, et considération, visibilité et soutien à ses aînés.

Je ne reviendrai pas sur les constats qui ont été exposés ce matin. Ils ont été exprimés avec une intensité, une justesse et une pudeur qui nous obligent, qui m’obligent.

Nous ressentons tous, je ressens personnellement l’urgence qu’il y a à répondre à la détresse de ceux qui perdent leur autonomie et aux inquiétudes de leurs proches.

L’urgence qu’il y a à accompagner et à soutenir Françoise, rencontrée le 6 octobre dernier, à l’occasion de la journée des aidants, qui fréquente une plateforme d’accompagnement et de répit pour les proches aidants, et qui m’a parlé de son mari, Michel, en me disant ces mots :

« Il faisait décoller des avions, maintenant il ne sait plus changer une ampoule. Une fois que l’on a compris, il faut changer son fusil d’épaule ».

L’urgence qu’il y a à accompagner et à soutenir les professionnels courageux et engagés qui consacrent leur vie à nos aînés vulnérables, dans des conditions souvent difficiles voire pénibles.

Dans des conditions qui ne s’arrangent pas avec les années.

L’urgence qu’il y a à libérer les personnes âgées du sentiment d’être un fardeau pour leurs proches, et de l’insoutenable culpabilité qui l’accompagne.

L’urgence qu’il y a à ne plus condamner aucun de nos aînés à une solitude qui tue plus sûrement encore que le vieillissement du corps.

Nous ne découvrons pas ces angoisses aujourd’hui.

Et il s’est déjà trouvé des volontés individuelles mais aussi politiques pour tenter d’y répondre.

Des volontés individuelles par millions, car nos concitoyens se sont organisés pour soutenir leurs êtres aimés ; et car nombre de professionnels se sont engagés avec passion et sollicitude.

Et des volontés politiques, car je veux saluer celles et ceux qui m’ont précédé au ministère et qui ont arraché d’aussi belles victoires que la création de l’allocation personnalisée d’autonomie en 2002 et de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie en 2004, ou des avancées de la loi d’adaptation de la société au vieillissement de 2015.

J’ai hérité de ces volontés et de ces avancées et j’en ai pleinement conscience.

Mais j’ai aussi hérité de cet évitement du problème dans sa globalité et dans son urgence – cet évitement que j’évoquais il y a un instant.

Mesdames et messieurs,

Nous avons tâtonné un long moment.

L’heure est venue de la grande prise de conscience.

La concertation que vous avez menée, avec ses 10 ateliers techniques nationaux, ses 5 forums régionaux, ses 415 000 contributions en ligne, ses 16 focus groups et ses 54 entretiens individuels, de quoi témoigne-t-elle d’autre, si ce n’est d’une prise de conscience d’une ampleur et d’une force sans précédent ?

Nous ne pouvons plus fermer les yeux. Le mur est trop proche et demain il sera trop tard.

La société française de 2050, dans laquelle près de 5 millions de Français auront plus de 85 ans et dans laquelle le nombre d’aînés en perte d’autonomie aura presque doublé, cette société se construit aujourd’hui.

C’est donc aujourd’hui qu’il nous faut agir, et sur tous les fronts, pour intégrer enfin le risque de la perte d’autonomie des personnes âgées dans la structure même de nos politiques sociales.

C’est bien le sens des recommandations que vous formulez dans votre rapport, cher Dominique Libault, et je veux vous adresser mes remerciements les plus sincères, les plus chaleureux. Votre travail est d’une qualité, d’une pertinence remarquable.

Mes remerciements s’adressent aussi à votre équipe, comme à tous ceux qui ont participé à la concertation : personnes âgées, aidants, professionnels, institutionnels, fédérations, partenaires sociaux, parlementaires, chercheurs et médecins, citoyens de tous horizons.

Vos travaux et vos contributions ne seront pas vains, je m’y engage.

Nous allons à présent entrer dans un temps de préparation très concret et rythmé.

Un temps au cours duquel nous allons bâtir une architecture nouvelle, une couverture publique du risque de dépendance lié au grand âge financée par la solidarité nationale.

Cette couverture publique, nous devrons en définir le modèle, avec une offre, une gouvernance et un financement clairement établis.

Cette couverture publique, je veux qu’elle puisse nous permettre de répondre aux questions extrêmement concrètes que j’entends tous les jours dans la bouche des Français qui participent au grand débat national.

Aux questions que vous avez entendues, vous aussi, pendant ces six mois de concertation.

Je veux les citer, ces questions… y répondre sera mon seul ordre de mission dans les prochains mois.

Vers qui dois-je me tourner pour évaluer mes besoins ou ceux de mon proche, connaître mes droits et mes options ?

Ai-je la liberté de choisir mon lieu de vie et le mode de prise en charge qui me correspond le mieux, quels que soient mes moyens ?

Comme puis-je éviter de peser sur mes enfants ou mes petits-enfants ? Vais-je priver mes enfants et petits-enfants de leur héritage si je reste dépendant très longtemps ?

Y aura-t-il suffisamment de personnes bien formées pour prendre soin de moi ou de mon proche, à domicile ou en établissement ?

Professionnel du grand âge ou jeune en recherche d’orientation professionnelle, les conditions sont-elles réunies pour que mon métier ou mon futur métier ait du sens ?

Comment puis-je rester ou aider mon proche à rester autonome le plus longtemps possible ?

Cher Dominique Libault, vos propositions sont le matériau qui va nous permettre de construire des réponses et le modèle de demain.

Parmi les mesures qui composeront ce modèle, je veux dire tout de suite que nous prendrons à bras le corps trois leviers de changement majeurs :

-la qualité des prises en charge et le renforcement de la prévention, en établissement comme dans les services à domicile. Dans les établissements, cela passera nécessairement par une augmentation forte, programmée et continue de la présence humaine auprès de la personne âgée. Dans les services, cela devra passer, entre autres, par une réforme des financements adossée à des objectifs de qualité ;

-la baisse du reste à charge en établissement ;

- et la revalorisation des métiers du grand âge pour augmenter drastiquement l’attractivité du secteur.

Car vous le dites très bien, cher Dominique Libault :

- les effectifs doivent augmenter pour accroître le temps de présence auprès des personnes ;

- la prévention de la pénibilité et des accidents du travail doit être renforcée ;

- les formations et les compétences doivent évoluer pour mieux préparer les professionnels aux attentes nouvelles. Cette montée en compétence et cette évolution des métiers doivent s’accompagner de revalorisations salariales, et c’est tout le sens de la prime aux aides-soignants, mesure qui avait été annoncée, qui sera mise en œuvre et qui n’éteint pas à elle-seule le besoin ;

- enfin, des perspectives de carrière diversifiées doivent être ouvertes.

Ces trois leviers, ces trois priorités, je les mettrai au cœur de mes annonces prochaines. Elles ne résumeront pas notre réforme, qui sera bien plus large. Mais elles en feront nécessairement partie.

Quelle sera ma méthode ?

Je me suis fixé cinq objectifs de court terme.

 D’abord, démultiplier la force de cette prise de conscience collective en agrégeant aux conclusions de la concertation sur le grand âge et l’autonomie celles du grand débat national.

Car j’ai pu constater à de nombreuses reprises à quel point l’angoisse des Français à l’égard de leur propre perte d’autonomie ou de celles de leurs proches s’exprimait de façon directe ou implicite dans leurs contributions.

Ces contributions, nous devons aussi les prendre en compte, c’est la promesse que nous avons faite aux Français.

C’est pourquoi je crois que notre réforme du grand âge aura toute sa place dans la séquence politique et sociale qui ponctuera la sortie du grand débat national.

J’ai eu des échanges dans ce sens avec le Président de la République et le Premier ministre.

 Deuxième objectif : construire une réforme qui répondra mieux aux besoins d’aujourd’hui et qui dessinera le système durable qui nous permettra de faire face aux besoins qui adviendront demain.

Nous devons fonder le système durable, le système cible qui nous permettra de faire face aux besoins de demain.

Pour cela, des mesures structurantes devront passer par une grande loi, et nous voulons la présenter en conseil des ministres à l’automne. C’est bien l’horizon qu’a fixé le président de la République.

Mais nous voulons avoir un impact dès 2019. Les personnes âgées, leurs proches et tout le secteur doivent voir une différence rapidement.

Il y a un axe particulier sur lequel je veux commencer à avancer dès maintenant : c’est l’attractivité des métiers du grand âge.

Je veux que nous soyons très vite en capacité de mettre en œuvre les principales recommandations du rapport de Dominique Libault.

C’est pourquoi, sans attendre les annonces globales, je vais nommer auprès de moi une personne, entourée d’une équipe, chargée d’animer toutes les parties prenantes concernées par cette question des métiers du grand âge.

Cette personne, dont vous connaîtrez très vite le nom, devra me proposer un grand plan en faveur des métiers de ces métiers.

J’ai vu de trop de personnels se décourager. Je veux qu’ils retrouvent de l’espoir, de la fierté, du souffle.

Sur ce sujet, nous partirons donc en « avance de phase ».

 Troisièmement : concilier ambition et responsabilité.

Vous l’avez dit cher Dominique : toutes les mesures n’emporteront pas d’efforts financiers massifs. Et elles n’en seront pas moins structurantes.

Mais, a contrario, nous ne ferons pas de réforme à la hauteur de l’ambition des Français sans y mettre des financements solides.

Je l’ai dit : mon ambition est grande, et je me battrai pour que cette ambition trouve les moyens dont elle a besoin.

Mais je veux avancer dans la clarté et je ne vais pas faire de détour.

Il nous faudra faire des choix.

Des choix sur la destination des financements d’abord : nous devrons établir des priorités, séquencer nos aspirations.

Des choix sur les modalités de financement également. Plusieurs options sont ouvertes, vous les connaissez.

Toutes ne nous nous permettront pas de concilier nos souhaits et nos contraintes collectives : une réforme du grand âge à la hauteur de notre volonté, la trajectoire de nos finances publiques et la prise en compte l’expression des Français dans le cadre du grand débat sur la fiscalité.

Pour faire ces choix, nous pourrons nous appuyer sur les résultats du Grand débat national. Cette question est donc devant nous et je ne l’éluderai pas.

 Quatrième objectif : assurer la cohérence totale de la réforme avec les orientations gouvernementales en matière de prévention, de santé et de recherche, dont vous savez qu’elles me tiennent particulièrement à cœur.

La réforme du grand âge doit être une nouvelle étape, capitale, de la politique de prévention que porte ce ministère.

Toutes nos actions doivent « se tenir ensemble ».

Lors du comité interministériel de la santé qui s’est tenu lundi dernier, nous avons ainsi annoncé la tenue d’un rendez-vous de prévention pour les jeunes retraités entre 60 et 65 ans, avec pour but d’identifier et de réduire les facteurs de risque de fragilité et de perte d’autonomie.

D’autres ambitions déjà annoncées et d’autres dispositifs déjà mis en œuvre viendront compléter naturellement la réforme que nous devons porter.

C’est évidemment le cas des soins palliatifs, qui fera prochainement l’objet d’un nouveau plan de développement, lequel devra notamment permettre de mieux accompagner les prises en charge en Ehpad et au domicile.

J’aurai le même souci d’articulation avec les travaux à conduire dans le champ de la recherche et je sais que je pourrais m’appuyer sur les propositions du Professeur Bruno Vellas, le président du comité scientifique de la mission.

Cette cohérence et cette bonne articulation, je tiens évidemment à l’assurer avec les priorités de Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat en charge des personnes handicapées, que je salue.

Notre réforme aura clairement pour objet la perte d’autonomie liée au grand âge.

Pour autant, il y a des points évidents d’adhérence voire de convergence avec la politique portée par Sophie Cluzel, et nous les analyserons et les traiterons avec beaucoup de soin.

Nous aurons, en particulier, une priorité commune : la mise en œuvre d’une stratégie globale en faveur de la bientraitance des personnes les plus vulnérables, dans la continuité du rapport qui nous a été remis par Denis Piveteau.

Cette stratégie commune sera annoncée à la fin du premier semestre 2019, et les mesures de nature législatives seront portées dans la loi sur le grand âge.

 Enfin, et c’est le dernier objectif : je veux franchir le dernier kilomètre, celui de la finalisation de la réforme, dans un dialogue étroit avec les parties prenantes.

La concertation grand âge et autonomie s’arrête aujourd’hui.

Mais le dialogue se poursuit avec celles et ceux qui voudront participer à l’étape décisive d’achèvement et de mise en œuvre de la réforme, et en particulier avec les parlementaires et les conseils départementaux.

Les portes du ministère sont ouvertes.

*

Mesdames et messieurs,

Regarder le grand âge en face, dans sa vérité, c’est la dignité d’une société adulte, d’une société qui a la force d’accompagner les siens debout et jusqu’au bout.

C’est aussi déplacer son regard, faire un pas de côté vers cette fragilité qui nous attend tous et qui nous ramène à la beauté de la vie, au sérieux de l’existence.

C’est là une pensée très ancienne et très personnelle, que j’aimerais partager avec vous.

Elle tient à ce que, dans mes activités passées, j’ai été confrontée à la mort de patients souvent jeunes, voire très jeunes.

Face à ces morts injustes et révoltantes, je me suis toujours dit que vieillir était une chance.

C’est une chance qui, par définition, n’est pas donnée à tout le monde.

C’est la chance, peut-être, de voir grandir ceux qu’on aime. De poursuivre longtemps les découvertes.

Et je voudrais que les Français en aient conscience.

Nous aurons réussi la réforme du grand âge lorsque nous en aurons fait un moment privilégié, serein et apaisé, et non plus un moment redouté et caché.

Un moment dont la liberté et la joie ne seront plus exclus. Un moment qui ne se vivra plus dans la solitude.

Un moment, en définitive, qui aura tout autant de prix que les autres.

La vie vaut la peine d’être vécue jusqu’au bout.

Je vous remercie.