Discours Agnès BUZYN – Bioéthique 24 septembre 2019

Discours d’Agnès Buzyn

Mardi 24 septembre 2019

Projet de loi bioéthique

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Mesdames les Ministres,

Madame la présidente de la commission spéciale,

Mesdames et Messieurs les rapporteurs,

Mesdames, messieurs les députés,

Dans les échanges qui animent cet hémicycle, semaine après semaine, les sujets que nous évoquons sont très variés. Ils intéressent toujours le quotidien des Français, fût-ce de manière indirecte.

Mais parmi eux, les projets de loi bioéthiques occupent une place à part. Ils touchent au plus profond de l’intimité des Français : la famille, l’enfance, la maladie, et tout ce qui compose une vie dans ses joies ou dans ses espoirs.

Ils sont un moment de réflexion profonde, non pas sur des « problèmes à résoudre » ou sur des « défis à relever », mais bien sur la société dans laquelle nous voulons vivre et la société que nous voulons proposer aux générations futures.

La France a cette chance, j’oserais dire ce privilège, de prendre rendez-vous à intervalles réguliers avec les grandes questions de notre temps, de prendre rendez-vous avec les enjeux singuliers d’une époque, de prendre rendez-vous avec le champ des possibles ouvert par la science et la recherche biomédicale.

Peu de pays mènent cette réflexion, parce qu’elle requiert à la fois une démocratie vivante, une capacité à déployer des techniques médicales de pointe, et une volonté collective de défendre une certaine vision de la liberté, de l’humanité et de la solidarité.

Dans cet hémicycle, vous serez, dans les semaines à venir, cette conscience qui doit délimiter, ordonner et définir les nouveaux progrès sans rien céder sur les grands principes.

Ces grands principes sont au cœur du projet de loi, solides et intangibles : la dignité de la personne humaine, l’autonomie de chacun et la solidarité de tous.

Ces grands principes, ce ne sont pas des verrous, ce sont des balises qui nous guident et qui nous protègent.

Ces choix reflèteront nécessairement un certain état de la science, de la société, des mentalités et, évidemment, de l’éthique.

Ces choix sont ceux de la confrontation entre le possible et le souhaitable, entre des parcours individuels parfois douloureux et des conséquences collectives acceptables.

Ces choix, nous les ferons ensemble, parce que c’est au Parlement et nulle part ailleurs qu’ils doivent être faits.

Les thèmes que nous allons aborder sont exigeants, ils sont passionnants, et ils s’accommodent mal des raccourcis et des caricatures.

Le projet de loi que je vous présente ce soir aux côtés de Nicole BELLOUBET, Frédérique VIDAL et Adrien TAQUET a été largement nourri de vos travaux au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et par le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale.

Le Ministère des Solidarités et de la Santé, le Ministère de la Justice et le Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation ont également organisé, avant l’écriture de la loi, à la demande du Premier Ministre, une série de séminaires pour présenter de façon neutre et approfondie, à l’ensemble des parlementaires qui le souhaitaient, les questions mises en débat.

Le projet de loi a aussi été, jusqu’à la semaine dernière, enrichi par la commission spéciale, dont je tiens à saluer la qualité des travaux, de mesdames et messieurs les rapporteurs, de l’ensemble de ses membres et bien sûr de sa présidente. Les échanges ont été exigeants et m’ont été sincèrement précieux.

Ce long cheminement qui va se poursuivre avec les débats qui s’ouvrent aujourd’hui, n’a rien d’anodin. Il était et reste nécessaire.

La méthode retenue depuis plusieurs mois a été, je crois, à la hauteur de l’enjeu, c’est-à-dire à la hauteur de ce que nous sommes, ni plus ni moins : des hommes et des femmes, avec leur histoire personnelle, leur sensibilité et leur sens du bien commun, devant des choix qui vont structurer la société française de demain.

Pour saisir « clairement et distinctement » des sujets qui sont bien souvent d’une redoutable complexité, nous avons donc privilégié l’échange à l’affrontement.

Par ce travail préparatoire, où l’humilité s’est imposée à tous, j’ai acquis une certitude.

Cette certitude, c’est qu’il n’y a pas d’un côté des tenants de l’ordre moral, partisans rétrogrades d’une société figée et de l’autre des aventuriers imprudents ou des apprentis sorciers nous menant tout droit à la dystopie.

Non, ce que j’ai vu et entendu :

• ce sont des histoires de vie empêchées, parfois même dramatiques ;

• ce sont des malades ou des familles en quête de réponses et de solutions ;

• ce sont des doutes, des interrogations et surtout une quête d’équilibre entre les attentes légitimes de la société et la nécessité de leur donner un cadre solide et des limites claires.

C’est dans ce même esprit que nous allons avancer dès aujourd’hui, pour adapter notre droit non pas à une société post-moderne tantôt espérée, tantôt redoutée, souvent fantasmée, mais à la société telle qu’elle est ici et maintenant et surtout aux Français tels qu’ils sont ici et maintenant, dans leur très grande diversité.

Accéder à des techniques médicales et accorder de nouveaux droits, ce n’est pas déréguler, c’est au contraire permettre à la République de tenir compte des avancées scientifiques et médicales et de s’adapter à la vie des Français. J’aurai l’occasion de revenir devant vous à plusieurs reprises pour présenter certaines dispositions du projet de loi.

Je souhaiterais cet après-midi évoquer tout particulièrement l’ouverture de la procréation médicalement assistée à toutes les femmes et aux femmes seules.

Et je veux couper court à une idée fausse. Il n’y a pas, il n’y jamais eu et il n’y aura jamais de « droit à l’enfant ».

Parler de « droit à l’enfant », c’est insinuer que l’enfant serait dorénavant à la merci de toutes les fantaisies, qu’il serait le simple produit d’un caprice.

Dire cela, c’est dénigrer le projet parental.

Les familles monoparentales et homoparentales existent déjà, c’est un fait et il serait aussi hypocrite de ne pas le voir que de persister à ne pas les reconnaître.

Ces familles sont issues de projets souvent très longs, avec des enfants qui sont ardemment désirés et des parents, nul ne s’en étonnera, qui sont des parents, tout simplement.

Reconnaître la famille dans ce qu’elle a de divers, de pluriel et de riche, c’est ce que je vous propose.

J’ai à l’esprit les mots d’une voix qui nous a quittés le 1er juin dernier, d’une voix exigeante et espiègle.

Cette voix, c’est celle de Michel Serres, qui disait : « nous ne sommes parents, vous ne serez jamais parents, père et mère, que si vous dites à votre enfant « je t’ai choisi », « je t’adopte car je t’aime », « c’est toi que j’ai voulu ». Et réciproquement : l’enfant choisit aussi ses parents parce qu’il les aime ».

Le critère qui définit une famille, c’est l’amour qui unit un parent et son enfant.

Et si la famille est un point de repère, elle est d’abord et avant tout, une histoire et un parcours, qu’il importe à chacun de connaître et de comprendre.

Ce n’est pas le rôle de l’Etat d’organiser les secrets de famille dans l’établissement des modes de filiation. Qui peut soutenir que les non-dits familiaux ont été, sont et seront un gage de paix et de sérénité ?

C’est le sens de l’histoire de rendre à l’enfant ses droits.

C’est toute la question de l’accès aux origines, et c’est ce que nous devons aux enfants issus d’une PMA avec tiers donneur.

Connaître ses origines, c’est trouver la réponse à une question légitime, peut-être la plus légitime de toutes les questions qu’un être humain puisse se poser : « d’où est-ce que je viens ? ».

Notre conviction aujourd’hui, c’est qu’il faut sortir de la dissimulation, c’est qu’il faut rompre avec une logique du secret qui abime bien plus qu’elle ne protège.

Même si ça n’est pas toujours simple, la famille est désormais un lieu où l’on peut, où l’on doit même, « se dire les choses ».

Nous savons que l’anonymat du donneur a bien souvent pour corollaire le silence des parents et les questions sans réponse de l’enfant.

Permettre à l’enfant d’accéder à sa majorité à des informations relatives au donneur, c’est lui permettre non pas de traquer un individu, non pas d’ouvrir un conflit, mais bien au contraire de se construire comme individu et de se pacifier avec son histoire et donc avec lui-même.

L’identité, c’est avant tout un récit, c’est une narration, c’est une histoire que l’on raconte aux autres et que l’on murmure à soi-même. Et cette histoire a toujours une genèse, à laquelle on ne peut arracher ceux qui la vivent et qui l’écrivent.

Un donneur n’est pas un parent, ça n’est pas sa vocation, ça n’est pas le sens de son geste, mais il est une pièce de son identité que l’on ne peut dérober à l’enfant, il est un chaînon qui ne doit pas manquer à l’appel d’une existence.

Donner accès aux origines dans cette loi, c’est aussi sortir le don du secret, pour le reconnaître dans ce qu’il a de profondément humain, altruiste et solidaire.

Ce faisant, nous n’affirmerons qu’une seule chose : la force des institutions, qui encadrent et qui protègent chacun.

Nous ne ferons qu’un seul choix : celui de la responsabilité individuelle et collective.

La force des institutions et l’esprit de responsabilité devront aussi guider les choix que nous ferons dans des domaines aussi complexes que variés, et je pense :

o à l’autoconservation de gamètes pour les femmes comme pour les hommes ;

o je pense aussi à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des pratiques, pour les dons d’organes ou les missions des conseillers en génétique ;

o je pense enfin au développement, dans le respect de nos valeurs éthiques, de la médecine génomique dans le cadre du soin ou de la recherche.

Monsieur le Président,

Mesdames, messieurs les députés,

Je vous ai dit il y a quelques instants que le projet de loi bioéthique était une chance et même, un privilège pour notre société.

J’en suis d’autant plus convaincue alors que des droits arrachés de haute lutte au XXème siècle sont aujourd’hui menacés et bafoués dans des pays où ils semblaient définitivement acquis.

J’en suis d’autant plus convaincue que des marchés se développent de manière massive et anarchique dans des domaines qui touchent au vivant.

Sur ces questions comme sur tant d’autres, la France est regardée, la voix de la France est écoutée.

Et je le dis à tous ceux qui se complaisent dans le confort mélancolique d’une grandeur supposée perdue : la France n’en a pas fini avec une vocation universelle qu’elle porte depuis deux siècles et trois décennies.

C’est ce projet collectif qui nous réunit aujourd’hui.

Je vous remercie.

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