Discours d’Agnès Buzyn : Stratégie de prévention de la perte d’autonomie – 16 janvier 2020

Discours d’Agnès Buzyn au sujet de la stratégie de prévention de la perte d’autonomie Vieillir en bonne santé.

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le ministre [Julien Denormandie],

Mesdames les ministres [Marie-Anne Montchamp et Michèle Delaunay, sous réserve],

Mesdames, messieurs les parlementaires,

Mesdames, messieurs,

Il y a des étapes qui marquent une accélération dans les grands projets que nous construisons et l’étape qui nous réunit aujourd’hui est de celles-là.

Lors de ces vœux aux Français, le Président de la République a évoqué le grand âge.

L’année 2020 sera bien l’année de notre réforme du grand âge, avec un projet de loi dont les contours seront concertés au premier semestre. Nous travaillons d’arrache-pied dans ce sens.

Mais si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est qu’il y a un sujet sur lequel je veux que nous puissions avancer vite. Un sujet qui ne nécessite pas la loi. C’est la prévention de la perte d’autonomie.

Dès mon arrivée dans ce ministère, j’ai fait de la prévention une priorité et en cela, j’ai transformé une conviction de médecin en responsabilité de ministre. Notre pays avait pris beaucoup trop de retard en la matière.

Le plan priorité prévention présenté en 2018 a posé les fondations de cette petite révolution culturelle ; mais une stratégie spécifique à la perte d’autonomie s’est imposée, parce que cet enjeu, chacun le sait, va s’amplifier avec le vieillissement de la population.

Evidemment, il y a déjà une dynamique très forte, et de nombreuses initiatives existent, portées par des acteurs institutionnels, des acteurs associatifs, des professionnels de santé, présents aujourd’hui dans la salle. Et je les salue.

L’ambition de la stratégie que nous présentons aujourd’hui, c’est d’abord de mettre en cohérence les initiatives très diverses autour d’objectifs communs ; c’est aussi de pousser des expérimentations, ou de généraliser les dispositifs qui ont fait leurs preuves.

Vous le savez très bien : notre société change de visage.

Une très forte accélération du vieillissement s’opérera dans les années à venir, du fait de l’avancée en âge des baby-boomers : en 2040, 10,6 M de personnes auront 75 ans ou plus.

En 2030, c’est-à-dire demain, nous vivrons un premier point de bascule : les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans.

Le vieillissement est un enjeu général. Mais ce n’est pas exactement le même sujet que la perte d’autonomie.

Evidemment, et c’est heureux, tout le monde ne perd pas son autonomie. Sur 10 personnes qui décèdent en France, 4 ont connu la perte d’autonomie dont 2 de façon sévère.

J’ai parlé de la prévention comme d’une révolution culturelle dans notre pays ; c’est-à-dire comme d’un changement des mentalités et des représentations qui est une condition pour engager un vrai changement des pratiques.

Une idée reçue voudrait que la dépendance soit un corollaire du vieillissement.

C’est faux, la perte d’autonomie n’est pas une fatalité, la perte d’autonomie n’est pas un âge de la vie.

Les gériatres nous le disent : la dépendance est toujours liée à une pathologie, pathologie qui est souvent une maladie chronique.

Il n’y a pas de fatalité : cela veut dire que nous pouvons agir. Que nous pouvons mettre en place des stratégies pour repousser les limites de l’autonomie le plus loin possible.

La société de la longévité que nous construisons doit être une société de la longévité en bonne santé, et donc une société de la prévention, parce que c’est à ce prix que le vieillissement sera une chance et non un fardeau.

J’ajouterai un deuxième impératif, c’est que longévité en bonne santé ne soit pas réservée aux plus aisés de nos concitoyens.

En d’autres termes, il nous faut construire une société de la longévité en bonne santé pour tous.

Les comparaisons internationales ne nous surprennent pas et nul ne s’étonnera de voir que les pays dans lesquels la prévention de la perte d’autonomie fait l’objet d’une politique à part entière sont ceux dans lesquels l’espérance de vie en bonne santé est la plus élevée.

Je souhaite d’ailleurs que nous travaillions à la construction d’un indicateur d’espérance de vie en bonne santé plus solide, plus scientifique, pour avoir, dans l’avenir, une référence et un objectif commun.

Voilà les enjeux, voilà nos ambitions.

J’en viens à la stratégie elle-même. Permettez-moi d’abord de dire deux mots de deux chantiers particulièrement structurants pour la prévention de la perte d’autonomie, qui sont déjà engagés et que je suis avec une attention constante.

- Je parle d’abord de notre investissement très fort pour atteindre l’objectif de « zéro passage par les urgences » pour les personnes âgées dépendantes d’ici 5 ans. C’est un objectif prévu par le Pacte de refondation des Urgences, présenté en septembre dernier.

Pour cela, nous allons organiser des admissions directes en service hospitalier depuis le domicile ou depuis un EHPAD, et c’est un levier puissant d’amélioration de la prise en charge des personnes âgées.

Cela fait écho à ce que vous disiez, cher Olivier GUERIN.

C’est pourquoi je vous annonce aujourd’hui l’introduction de critères de prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées dans la certification des établissements de santé dès 2020, ainsi, en 2021, que dans leur système de tarification.

- Je pense également à la mise en place du 100% santé, qui constituera à n’en pas douter un outil très puissant de prévention, notamment pour l’accès aux lunettes et aux prothèses auditives, avec une campagne de communication en 2020 et 2021.

Comment en effet prévenir les chutes sans une bonne vue ? Comment lutter contre vieillir en bonne santé sans une bonne audition ?

S’agissant de la stratégie elle-même, je voudrais simplement insister sur trois messages-clés.

Le premier, c’est que protéger sa santé grâce à la prévention, c’est protéger son autonomie à long terme. Je le dis et le répète : la dépendance n’est pas une fatalité.

En se protégeant des maladies comme les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’obésité, l’insuffisance respiratoire, on maximise ses chances d’être autonome à long terme.

Et ces pathologies sont liées aux déterminants de santé connus : tabac, alcool, nutrition inadaptée, activité physique insuffisante et comportement sédentaire.

Cela veut dire que nos actions de prévention doivent intervenir dès le plus jeune âge.

Pour aller plus loin dans notre compréhension scientifique du vieillissement et de la perte d’autonomie, Frédérique VIDAL et moi voulons mettre la France au niveau des pays européens les plus avancés en matière de recherche.

Nous créerons donc un programme national de recherche, qui associera la recherche fondamentale sur les mécanismes du vieillissement ou les pathologies liées à l’âge, la recherche technologique au service de la médecine régénérative, de la médecine connectée, de la robotique, et jusqu’à la recherche en sciences humaines et sociales. J’y tiens énormément.

Ce que je veux vous dire aujourd’hui, c’est qu’il nous faut aussi mettre l’accent sur trois moments de la vie où la prévention doit être renforcée.

- La première tranche d’âge est celle des 40-45 ans. Les avis d’experts et notamment celui du Haut Conseil de la santé publique sur la prévention de la maladie d’Alzheimer (ou apparentées) s’accordent sur la nécessité d’amplifier la prévention de la perte d’autonomie en agissant au milieu de la vie.

Je soutiens donc le projet d’application, développée par Santé publique France destinée à guider les personnes pour aller vers des comportements de vie sains, à petits pas, simples, accessibles, partant des habitudes de vie de chacun.

Elle sera accessible en 2020. Nous savons que certains outils font une vraie différence en matière de prévention, je pense par exemple à l’application Tabac info service. Je veux que cette nouvelle application soit aussi un succès au service de la santé de chacun.

- La deuxième tranche de population que nous devons toucher impérativement, ce sont les personnes qui partent à la retraite : le passage à la retraite constitue un moment de vie propice aux changements de comportements.

L’instauration d’un temps de consultation dédié aux jeunes retraités permet de structurer une approche préventive et l’adoption de comportements sains.

Qu’est-ce ce que cela signifie ?

Julien DENORMANDIE a évoqué le sujet spécifique du logement et je n’y reviendrai pas, sauf pour dire que je me réjouis de constater que tout le Gouvernement est mobilisé pour la prévention.

L’approche que nous privilégions pour ce rendez-vous de prévention est une approche globale, la mieux à même de préserver les cinq grandes capacités de la personne que sont : la mobilité, la nutrition, les fonctions sensorielles, l’état psycho-social et la cognition.

Ce rendez-vous sera organisé en partant des actions et de l’expérience des caisses d’assurance maladie et de retraite sur la base d’un référentiel commun.

Il s’adressera en priorité à un public en situation socio-économique précaire ou éloigné du système de santé.

Cette mesure, je l’avais proposée dès le Comité interministériel de la santé de 2019 et je me réjouis de la voir se généraliser à compter de cette année grâce au travail remarquable accompli par la CNAV, la CCMS, l’AGIRC-ARRCO et la CCMSA dont je salue l’action et les représentants.

Je suis très heureuse de signer aujourd’hui la charte qui prévoit et encadre cette montée en puissance. Car d’ici 2022, je souhaite que nous touchions 200 000 personnes par an.

- La troisième population que nous voulons atteindre, ce sont enfin les plus de 70 ans.

Agir en direction de cette population est sans doute l’une des innovations les plus importantes de cette stratégie.

La préservation de l’autonomie à partir de 70 ans nécessite deux changements majeurs :

D’abord, la détection la plus précoce possible des fragilités, parce que ces dernières sont réversibles ou peuvent être compensées et n’entraînent pas automatiquement la perte d’autonomie.

Ensuite, une action renforcée sur les facteurs qui accélèrent la perte d’autonomie : les chutes, souvent liées à l’inadaptation des logements, les hospitalisations qui auraient pu être évitées, l’isolement, et les déficits sensoriels mal diagnostiqués, soignés ou compensés.

Je suis donc très favorable à l’expérimentation rapide dans plusieurs régions d’un programme de dépistage de la fragilité selon la démarche ICOPE, conçue par l’Organisation mondiale de la santé, sur la période 2020-2022.

C’est tout le sens de l’engagement remarquable du Pr. Bruno Vellas et de ses équipes du gérontopôle de Toulouse, qui vont conduire une expérimentation en Occitanie.

Concrètement, une application numérique guidera le professionnel de l’aide et l’accompagnement pour dépister les fragilités des personnes âgées et leur proposer des solutions adaptées. Je pense par exemple à la prescription d’activités physiques adaptées ; à des actions prévenant la dénutrition….

Cette application numérique pourra, demain, être utilisée par d’autres personnes que des professionnels de santé, après une formation.

Car je suis très favorable à ce que nous expérimentions la mobilisation des agents de la Poste qui sont en contact permanent avec nos concitoyens, singulièrement dans les zones peu denses, comme nous avons coutume de le dire.

Bien sûr, ce sera en lien avec les professionnels de santé et en particulier le médecin traitant.

Voilà pour le premier message. La prévention, la prévention, et encore la prévention.

Mon deuxième message, et c’est une conviction très forte que j’aimerais partager avec vous, c’est que nous ne lutterons pas efficacement contre la perte d’autonomie si nous ne luttons pas contre l’isolement.

Et si la perte d’autonomie n’est pas une fatalité, la solitude n’est un destin pour personne.

La solitude est un fléau qui doit nous mobiliser parce que c’est un accélérateur de la perte d’autonomie.

« Le bonheur supprime la vieillesse » écrivait Kafka. J’en déduis donc que le malheur l’accroît ou, à tout le moins, accélère tout ce qui fait qu’on peut craindre et redouter le vieillissement.

L’isolement, c’est l’ennui et la mélancolie qui dominent et qui écrasent, pour faire de la vieillesse la fin d’à peu près tout.

Nous ne pouvons pas l’accepter et nous savons qu’il y a là un levier de transformation extrêmement puissant, parce que, je le redis, lutter contre l’isolement, c’est lutter contre la dépendance.

Adapter notre société au vieillissement, c’est donc aussi prévenir l’effondrement dans la solitude, c’est veiller à ce que chacun reste membre de la cité jusqu’au bout, en pouvant parler, se confier et accéder à des soins dès que la situation l’exige.

En un mot, c’est mettre fin à une souffrance indicible et inaudible, qui est un coup d’arrêt à tous les plaisirs de la vie, y compris aux plus insignifiants.

Et en cela, on ne soupçonne pas la force d’un dispositif comme celui proposé par la Poste ; imaginez un instant une personne âgée seule, dans un territoire très rural ; l’agent de la Poste qui passe chaque semaine, c’est une conversation, c’est un contact humain ; tantôt on échange des banalités, tantôt on se confie sur des choses plus personnelles.

Et à la fin, on se dit à la semaine prochaine et ça, c’est important, très important.

Je crois profondément à la pertinence de ce dispositif et je soutiendrais tous les projets destinés à lutter contre la solitude de nos aînés, dans les territoires ruraux comme dans les zones urbaines, parce que celles-ci sont loin d’être épargnées par ces douleurs muettes.

Il faut « aller vers » ces personnes seules, il faut leur tendre la main et leur prêter une oreille attentive.

Je réunirai dans les prochaines semaines, avec Jacqueline Gourault, toutes celles et tous ceux qui ont de beaux projets à porter dans les territoires contre l’isolement.

D’ores et déjà, nous allons créer un label « Villes amies des aînés » et le diffuser. Nous allons mobiliser les jeunes du service national universel et du service civique, qui viendront enrichir ces actions dès 2020.

Avant de conclure, je voudrais formuler un troisième message.

Les axes de travail présentés aujourd’hui doivent constituer un point d’appui, mais ils sont loin de résumer l’ambition.

Car garantir l’autonomie, c’est adapter l’ensemble de notre cadre de vie.

Une personne considérée aujourd’hui comme « dépendante » pourrait parfaitement être autonome dans une société adaptée à ses besoins : avec des transports, des espaces urbains, des habitats, des équipements transformés.

C’est l’un des messages principaux exprimés par la députée Audrey Dufeu-Schubert dans son rapport de très grande qualité sur l’âgisme.

L’innovation technologique, avec notamment les robots, les exosquelettes, ouvre des perspectives extraordinaires.

Cela signifie que nos modes de production, de consommation, nos métiers vont devoir s’adapter.

Et donc que les collectivités, les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la construction de la société de la longévité.

Et c’est pourquoi je suis extrêmement heureuse de pouvoir marquer aujourd’hui le coup d’envoi du tour de France de la Silver economy, cher Luc BROUSSY.

Pour diffuser les innovations, les moyens de prévention qui ont fait leurs preuves, je créerai en outre, en 2020, un centre « ressources » à la CNSA. Il mobilisera une expertise pluridisciplinaire dans le champ de la perte d’autonomie pour faciliter la prise de décision des décideurs, dans chaque département, réunis dans le cadre de la conférence des financeurs.

Chère Marie-Anne MONTCHAMP, je ne peux que souscrire à votre analyse sur la façon de structurer la politique de prévention dans les territoires. Nous partageons la même vision.

Mesdames, messieurs,

Nous ne construisons pas aujourd’hui une stratégie isolée, strictement composée de mesures techniques.

Nous créons avec cette stratégie les conditions de la réussite d’une loi très ambitieuse sur le grand âge et l’autonomie, parce que cette stratégie de prévention rendra plus soutenable le « choc » démographique auquel notre pays sera confronté dès 2025.

Cette stratégie de prévention nécessite un « alignement » parfait de nombreux acteurs et je pense évidemment aux collectivités locales, aux professionnels de santé, aux entreprises et aux associations.

Tous les professionnels sont mobilisés et je sais que nous allons réussir.

Quand on est ministre des solidarités et de la santé, il n’est pas rare et il est même fréquent d’être confronté à des guerres de chapelle, à des concurrences tenaces et à de vieux clivages.

Tel n’est pas le cas dans le domaine du grand âge et si devais retenir une chose de nos échanges depuis deux ans et demi, ce serait bien ce sens assez unique du collectif.

C’est pourquoi j’ai souhaité dès à présent vous présenter à la fois l’ambition, la méthode et les principales actions de cette stratégie « vieillir en bonne santé ».

Je connais votre engagement.

Vous pouvez compter sur le mien.

Je vous remercie.


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