Discours de Jean-Christophe Combe en clôture des Assises des EHPAD 2022

Discours de Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées en clôture des Assises des EHPAD, le 14 septembre 2022 à 16h00 à la Maison de la Chimie (Paris).

Seul le prononcé fait foi

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Monsieur le vice-président de l’Association des départements de France,

Monsieur le président de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie,

Monsieur le directeur général de la cohésion sociale,

Mesdames et messieurs les directeurs d’établissements,

Je suis très heureux de pouvoir conclure cette édition 2022 des Assises des EHPAD et de retrouver certains visages, que vous me permettrez de qualifier d’amicaux.

Cher Luc Broussy, je vous remercie de votre invitation. Nous nous connaissons de ma vie d’avant, je sais votre engagement constant et nous partageons la même volonté d’apporter des réponses pragmatiques aux enjeux qui sont devant nous.

J’ai eu le plaisir de recevoir un certain nombre d’entre vous hier, je crois comprendre que cela avait été apprécié… l’objet de ce rendez-vous était de parler du temps long et du Conseil national de la refondation. Le temps court des mesures d’urgences sera celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui sera présenté dans une dizaine de jours et j’y reviendrai dans un instant.

Mais avant cela, je veux vous parler d’avenir et de transformations structurelles.

J’ai pleinement conscience de l’urgence de la situation des métiers, des tensions et des inquiétudes, mais nous sommes en réalité face à une double urgence : celle de répondre ici et maintenant aux difficultés que vous rencontrez et celle de préparer la société à la transition démographique qui est devant nous. Telle est ma feuille de route.

D’ici à 2030, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans passera de 15 à 20 millions. Elles représenteront alors un tiers de la population et la part des plus de 65 ans dépassera celle des moins de 15 ans. La société va changer de visage.

Cela concerne tous les pays développés et cela ne concerne pas uniquement les professionnels du secteur médico-social, les personnes âgées, les personnes âgées en perte d’autonomie ou leurs familles. C’est une véritable question de société, qui impacte toutes ses dimensions, tous les ministères, tous les secteurs.

L’urgence c’est d’anticiper cette transition démographique et d’en voir autant les défis que les opportunités.

Les défis vous les connaissez bien :

  • La perte d’autonomie et les inégalités de choix et d’accès aux solutions ;
  • Le défi du soutien aux aidants, qui sont parfois obligés d’arrêter de travailler ;
  • Le défi de l’isolement social de nos aînés, qui est autant une question d’humanité que de sécurité pour les personnes concernées.

Et puis il y a bien sûr le défi économique et notamment celui de l’attractivité et de la fidélisation dans les métiers, sur lesquels je reviendrai toute à l’heure.

Mais il faut aussi aborder avec enthousiasme les formidables opportunités portées par cette transition démographique.

Celle d’une société plus engagée. En 2020, 55 % des maires avaient plus de 60 ans et un tiers des bénévoles associatifs sont des retraités. Ils sont aussi des acteurs indispensables de la solidarité familiale, ils gardent leurs petits-enfants, ils transmettent, ils inspirent.

L’opportunité également d’une société plus inclusive, dans laquelle on pense nos dispositifs non pas pour mais avec les personnes et tout particulièrement avec celles qui sont les plus vulnérables. Une société dans laquelle chacun est considéré comme une personne à part entière, pleinement capable de choisir et d’agir.

Je me méfie de la prolifération des mots en « ismes » que l’on utilise trop souvent pour fracturer la société, mais nous devons toutefois sans détour dénoncer l’âgisme sous toutes ses formes et surtout le combattre : nos aînés sont des chances pour la société et cela jusqu’au dernier jour de leurs vies.

C’est enfin une opportunité pour l’emploi et l’innovation. Les enjeux liés au vieillissement et à l’isolement social sont de formidables terrains d’innovation et de création de services et de start-ups. Ce sont aussi des emplois supplémentaires dans tous les secteurs commerciaux et non-lucratifs.

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Cette approche globale, nous l’avons proposée la semaine dernière dans le cadre du Conseil national de la refondation.

Cette nouvelle méthode doit nous permettre de traiter des grandes transitions écologiques, démographiques ou encore celle relative à notre modèle productif, sur lequel repose le financement de notre modèle social.

En ce qui concerne la transition démographique qui vous intéresse tout particulièrement et pour traduire cette approche large, nous avons retenu l’appellation « bien vieillir ».

Vous le savez, bâtir une société dans laquelle chacun vieillit bien, ce n’est pas uniquement une question d’autonomie, c’est aussi et surtout une question de lien social et de citoyenneté.

« Autonome » et « en lien », sont pour moi les deux piliers du « bien vieillir ».

Être autonome, c’est être reconnu dans son pouvoir d’agir, c’est pouvoir choisir là où on veut vivre – chez soi, dans un logement inclusif ou dans un établissement – et y être protégé. Les violences et les maltraitances sont inacceptables que ce soit dans les rues de Cannes, à domicile ou en EHPAD.

Être en lien, c’est pouvoir participer à la vie de la Cité en étant visible, respecté, représenté et écouté, c’est se sentir utile, au sein de sa famille, d’une association ou de son quartier, c’est pouvoir travailler jusqu’à l’âge de la retraite en prévenant les maladies chroniques sur un marché du travail qui ne rejette pas les seniors.

Ce chantier du « bien vieillir » s’articulera donc autour de trois thématiques : la prévention, le lien social et la citoyenneté, et les métiers.

Investir dans la prévention, c’est permettre de mieux vieillir : une année d’espérance de vie en bonne santé c’est une économie d’1,5 milliards d’euro chaque année.

La prévention c’est aussi permettre à l’immense majorité de Français qui souhaitent vieillir chez eux de pouvoir le faire en soutenant l’adaptation des logements et des transports ?

C’est aussi :

  • Le développement de la pratique du sport ;
  • La détection précoce des maladies neuro-évolutives et des troubles de la santé mentale ;
  • C’est la prévention des chutes, qui reste la première cause de mortalité des plus de 65 ans ;
  • C’est encore de la dénutrition qui concerne 25% des personnes de plus de 70 ans vivant seules.

J’en profite d’ailleurs pour saluer l’initiative du Collectif Dénutrition qui organise une semaine sur ce sujet essentiel du 18 au 25 novembre prochains.

Renforcer le lien social et la citoyenneté, c’est :

  • Protéger et donner du pouvoir d’agir au profit de l’ensemble de la société ;C’est garantir la visibilité et la pleine citoyenneté jusqu’à l’exercice du droit de vote, c’est renforcer leur place dans la société du plein-emploi ;
  • C’est valoriser l’engagement bénévole ;
  • C’est créer un service public territorial de l’autonomie pour améliorer l’accès aux droits et simplifier le parcours des personnes et des aidants ;
  • Mais c’est aussi changer nos représentations et faire tomber nos peurs sur la vulnérabilité, pour y voir toutes les richesses qu’elle renferme.

Le troisième chantier vous le connaissez bien, c’est celui qui vise à attirer et fidéliser dans les métiers du « bien vieillir ». C’est une urgence à court terme, mais c’est aussi des opportunités économiques à moyen et long terme. C’est un enjeu essentiel et nous savons qu’il ne passe pas uniquement par la revalorisation salariale.

Nous devons valoriser les acteurs qui innovent, qui inventent des métiers, des services et des outils.

Nous devons parler des conditions de travail, du management, de la qualité de vie au travail. Mais aussi des questions de formation, de parcours professionnels, ou encore de la validation des acquis de l’expérience.

La reconnaissance de ces métiers c’est redonner du sens aux conditions de travail et j’ajoute que soutenir le 4ème secteur pourvoyeur d’activité en France c’est œuvrer pour le plein emploi.

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Voilà ce que je pouvais vous dire sur la structuration du chantier « bien vieillir » que nous avons lancé avec le Président de la République et que nous suivrons ensemble régulièrement.

Je réunirai début octobre tous les acteurs concernés pour lancer la Fabrique du bien vieillir. L’objectif sera de partager les priorités pour travailler sur leur mise en œuvre.

Pour cela nous organiserons une dizaine d’ateliers citoyens dans les départements, parce que je tiens à cette démarche de terrain qui associe bien au-delà des acteurs du grand âge l’ensemble de la société. Tout le monde est concerné.

Je vous le dis très clairement : il ne s’agit pas de lancer une nouvelle concertation. Les constats nous les connaissons, les propositions ont été posées dans les rapports Libault, Piveteau ou El Khomri, nous les partageons et nous avons commencé à les mettre en œuvre.

Le temps désormais est celui de l’accélération de cette mise en œuvre.

Cette méthode associera étroitement l’Assemblée des départements de France, cher Olivier Richefou, pour aborder notamment la question de l’articulation avec l’Etat, et nous travaillerons avec les parlementaires de tous bords à affiner les priorités.

Nous avons la chance d’avoir des élus très engagés sur tous les bancs des hémicycles et tous pourrons participer à ce travail de co-construction. Permettez-moi de saluer la présence d’Astrid Panosyan-Bouvet, de Jérôme Guedj, de Nicole Dubré-Chirat, de Paul Christophe et d’Annie Vidal, avec lesquels j’aurai des échanges réguliers et sur qui je sais pouvoir compter dans les prochains mois.

Je souhaite que dans les 6 mois nous aboutissions à une feuille de route pour le « bien vieillir » en France. C’est-à-dire de bien définir la vision partagée, les priorités opérationnelles et les modalités de mise en œuvre.

J’entends les discussions sur l’opportunité d’une loi « Grand âge ». C’est une question importante, mais c’est une question de forme, à laquelle il faudra répondre le moment venu. Ce qui compte pour moi c’est ce qu’on veut y mettre et c’est surtout d’être efficace. C’est-à-dire de ne pas reporter à une loi ce qui peut être mis en place rapidement.

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C’est avec cette même approche pragmatique que nous allons poursuivre notre effort collectif pour soutenir la transformation de vos établissements.

Vous le savez, beaucoup a été fait ces cinq dernières années dans le contexte de la crise sanitaire.

Pour les années à venir, la feuille de route que nous avons fixé avec la Première ministre est claire : poursuivre la transformation des EHPAD dans le cadre de la priorité que nous donnons au domicile.

Oui, je crois profondément que les EHPAD ont un rôle majeur à jouer, qu’ils sont même indispensables à la réussite de l’accompagnement du choix de vieillir chez soi.

C’est tout le sens de la mission de centre de ressources territorial des EHPAD que nous avons inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale 2022.

Les EHPAD de demain seront plus humains, plus médicalisés, plus verts et plus ouverts et je pense notamment aux modèles de tiers-lieux, dont j’ai constaté toute la pertinence.

L’EHPAD doit être un appui aux choix et aux parcours pour répondre au mieux aux aspirations des personnes et de leurs proches aidants.

Ils offriront un appui au domicile :

  • En proposant des consultations,
  • En faisant le lien et en apportant du support aux services d’aide à domicile,
  • En coordonnant les parcours, en proposant un accueil de jour et un lieu de répit pour les aidants,
  • Bref en jouant un rôle pivot de facilitateurs de parcours à la maille de leurs territoires.

Cette transformation de l’offre à partir des besoins doit également nous permettre de sortir du système trop binaire « Domicile/EHPAD », pour proposer un parcours résidentiel qui corresponde au projet de vie de la personne.

Cela passe aussi par la diversification des solutions d’accueil en habitat intermédiaire, qu’il s’agisse de résidence autonomie, de résidences services ou d’habitats inclusifs.

Ces transformations sont des changements de modèles à partir de bonnes pratiques de terrain.

Elles s’inscriront dans la durée et participeront de cette vision plus globale que nous porterons dans la feuille de route du bien vieillir.

Vous le voyez : « autonomie » et « lien social » sont donc bien les deux piliers du « bien vieillir ».

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Nous devons voir loin et penser structurel, mais je connais bien vos urgences du court-terme et dont vous avez largement discuté depuis hier.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2023 qui sera présenté le 26 septembre prochain permettra d’apporter des réponses concrètes.

Dans le respect de notre démocratie vous me permettrez de réserver la primeur du contenu aux parlementaires, mais je souhaitais évoquer ici quelques aspects essentiels.

Comme nous l’avons fait pour d’autres secteurs, nous prendrons des mesures pour tenir compte des impacts de l’inflation dès l’année 2022.

Nous vous appuierons pour que vos établissements puissent préparer des plans de sobriété énergétique. Ce n’est pas qu’une question de tensions sur l’énergie dans le contexte de la guerre en Ukraine, c’est également un enjeu durable pour réussir la transition écologique et solidaire dans laquelle notre pays est engagé.

Nous commencerons également à mettre en œuvre l’engagement du Président de la République de créer 50 000 postes d’infirmiers ou d’aide soignants.

Je souhaite que nous puissions continuer à mettre en œuvre les propositions des professeurs Jeandel et Guérin et notamment celle qui vise la généralisation du tarif global. Il devra évoluer pour renforcer la prévention et je vous annonce que son taux d’évolution sera dégelé dès le 1er janvier 2023.

Enfin, nous renforcerons la transparence et la sécurité au sein des EHPAD, comme préconisé par le rapport Bonne-Meunier. Sur ce point, je crois que nous partageons tous ici le souci de garantir la sécurité des résidents et la qualité de leur hébergement. Pour retrouver leur confiance et celle de leurs familles, nous devons créer un « choc de transparence ».

Pour ce faire nous avons renforcé les moyens d’inspection et de contrôle pour s’assurer que la totalité des EHPAD sera contrôlée par les ARS dans les deux ans. L’ensemble de la société doit savoir que nous serons sans complaisance pour garantir la sécurité dans les EHPAD et dans tous les établissements médico-sociaux. J’ajoute que je prendrai des initiatives très prochainement, pour renforcer la lutte contre la maltraitance, en établissements comme à domicile.

Le contexte des derniers mois ne doit pas nous faire tomber dans la critique systématique des EHPAD. Mon rôle est également de saluer le travail remarquable de l’immense majorité des professionnels qui y travaillent.

Je souhaite d’ailleurs rendre hommage à leur engagement encore cet été face aux grandes chaleurs.

Revaloriser les métiers du soin et du lien, c’est d’abord en parler positivement.

Pour ma part, vous l’aurez compris, je choisirai toujours l’enthousiasme, car je crois que nous avons besoin de discours mobilisateurs : c’est vrai pour le « bien vieillir » comme pour la transition écologique et solidaire.

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Permettez-moi pour conclure de dire quelques mots sur le lancement de la convention citoyenne sur la fin de vie.

En tant que Ministre de toutes les vulnérabilités, je participerai pleinement à ce débat essentiel.

Ce débat ne se limite pas à l’euthanasie ou au suicide assisté.

C’est un sujet aussi bien individuel que collectif.

  • Il touche au regard que nous portons sur la fragilité, sur la mort, sur la souffrance et sur la liberté.
  • Il touche au rôle des soignants et à celui des proches.
  • Il touche aussi à notre capacité à bâtir une société du bien vieillir, dans laquelle chacun a sa place et dans laquelle chacun est entendu.

Comme l’a annoncé le Président de la République, je souhaite que ce débat soit le plus approfondi possible, que chacun puisse s’exprimer sereinement, et notamment celles et ceux qui sont directement concernés. Celles et ceux qui savent et qui font.

Qu’il soit l’occasion d’entendre les peurs et de bâtir un modèle d’accompagnement de la fin de vie qui soit spécifiquement français.

Un modèle qui tienne compte de ce que nous sommes et de ce que nous voulons collectivement faire.

Ces questions vous concernent, en tant que citoyen et en tant que professionnels et je vous encourage donc vivement à participer à ce débat.

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Voilà, mesdames et messieurs, en quelques mots le survol des différents dossiers de court, moyen et long termes que je souhaite conduire avec vous.

Je dis « avec vous » car j’ai tiré de ma vie d’avant quelques valeurs et convictions et notamment celle que personne ne détient seul les solutions aux grands enjeux de notre temps. Chacun doit faire sa part.

C’est vrai pour toutes les grandes transitions et notamment la transition démographique. Je sais pouvoir compter sur votre engagement. Nous pouvons avoir des sensibilités différentes, nous pouvons nous opposer sur les priorités arbitrées, mais je sais que nous avons cet objectif commun de bâtir cette société du bien vieillir qui profitera à toutes les générations.

Nous allons le faire ensemble, nous allons le faire avec méthode, avec détermination et dans un esprit de responsabilité, pour que cet enjeu universel ne soit pas l’otage de vaines oppositions mais un sujet de rassemblement autour de l’intérêt général.

Je vous remercie.